Le thème dominant dans la plus grande partie de l’art et de la littérature produits pendant la première moitié du XXe siècle fut l’aliénation. Les auteurs parlaient de l’« âge de l’angoisse ». Ils décriaient le règne matérialiste de la « quantité sur la qualité », l’absence de toute valeur spirituelle significative, la rupture des relations entre les sexes, la dévastation de l’environnement, la mécanisation et la spécialisation excessive de la vie urbaine, et l’impérialisme de la mono-culture collective, avec ses « valeurs » vulgaires du progrès et de l’efficacité.
Qu’est-il devenu de ces critiques de la « condition moderne » ? Beaucoup sont mort, d’autres ont cessé de se plaindre et ont décidé de rester silencieux. La modernité peut être le règne du Dernier Homme de Nietzsche, mais au moins quand des hommes comme Pound, Eliot, Lawrence et Heidegger étaient vivants le Dernier Homme était obligé de se dire que quelque chose n’allait pas chez lui. Sa jouissance des conforts matériels était tempérée par le lancinant sentiment que quelque chose manquait dans la vie moderne. Aujourd’hui, le Dernier Homme est arrogant et impudent dans son matérialisme. Il étale sa superficialité et sa pauvreté spirituelle. Si on exprime le moindre doute sur les valeurs modernes, le Dernier Homme répond immédiatement que les valeurs sont « relatives ». Si quelque chose peut être bon pour nous simplement parce que nous croyons qu’elle l’est, alors nous n’avons pas besoin de réfléchir sérieusement à nos vies et à nos valeurs.
Aujourd’hui, les critiques de la modernité ont été complètement marginalisés. Ce sont des dingues et des excentriques. Lorsqu’on découvrit qu’un jeune Américain nommé John Walker combattait pour les Talibans, les pontifes des médias se demandèrent tout haut comment quelqu’un pouvait préférer la vie en Afghanistan à la vie à San Francisco. Quiconque tournant volontairement le dos aux véhicules puissants, aux téléphones cellulaires, à MTV et à Oprah doit être fou. Quand le Manifeste d’Unabomber complexe, bien-raisonné et antimoderne de Ted Kaczynski fut révélé, il fut accueilli comme une preuve supplémentaire de sa folie.
Mais l’angoisse et l’aliénation continuent, malgré l’état de dénégation dans lequel la plupart des gens vivent. Autrement comment pourrions-nous expliquer pourquoi, à la fin du siècle dernier, les antidépresseurs ont fini par devenir le plus grand succès de l’industrie pharmaceutique ? Autrement comment pourrions-nous expliquer que les psychothérapeutes et les gourous du « développement personnel » ? Autrement comment pourrions-nous expliquer le phénomène des « tueries dans les écoles », au cours desquelles des adolescents intelligents et aliénés (mais voyant plus clair, à leur manière, que leurs parents) ont montré leur mépris pour la société qui leur est proposée en la quittant dans une explosion de violence ? Recherchant désespérément des valeurs, ils n’en ont trouvé aucune – ou on leur a donné le ticket d’entrée et on les a envoyés voir le psychologue de l’école.
L’environnementalisme est la seule école de pensée très influente, « majoritaire », contemporaine, qui puisse sérieusement être qualifiée d’antimoderne. Dans le mouvement environnemental, une tendance qui a récemment monté en puissance est le biorégionalisme. D’après David Foreman, fondateur de Earth First !, le principe essentiel du biorégionalisme est que la culture, la politique et l’économie humaines doivent être basées sur des écosystèmes régionaux – ce qu’il appelle « vivre sur place ». Les défenseurs du biorégionalisme soulignent que leur approche n’est pas anthropocentrique, mais il est évident que cette théorie a de profondes implications pour la société humaine. Pour que les êtres humains triomphent de l’aliénation et du déracinement de la vie moderne, cependant, il faudra plus que le simple rétablissement d’une relation harmonieuse avec le Vaisseau Terre.
Le néo-paganisme entre en scène. Ce mouvement, qui a pris de l’importance à partir des années 1960, défend une sorte de régionalisme spirituel qui peut servir de complément au biorégionalisme. A de nombreux égards, bien sûr, la scène « païenne » a été le jouet des pires excès du modernisme et du postmodernisme : subjectivisme, relativisme, et un syncrétisme confus qui emprunte à un salmigondis de traditions différentes sans jamais se rattacher à l’une d’entre elles. Néanmoins, la forte résurgence d’intérêt pour le paganisme est un développement encourageant, et justifie un optimisme prudent.
Stephen Edred Flowers, l’un des auteurs les plus informés et les plus sérieux concernant les sujets néo-païens, a suggéré que cet amour naissant pour la spiritualité préchrétienne pourrait être plus précisément décrit comme une nostalgie pour une culture intégrale (Flowers développe ce concept dans un texte de ce volume). En deux mots, la culture intégrale est une culture dans laquelle spiritualité, culture et politique forment un ensemble homogène. Les petites sociétés tribales, ethniquement et culturellement homogènes, qui s’épanouissaient avant le christianisme étaient des sociétés dans lesquelles tous les aspects de la vie étaient intégrés dans un système holistique. Les sociétés tribales (« primitives ») modernes sont aussi des cultures intégrales. Les Indiens d’Amérique ont longtemps eu du mal à comprendre pourquoi presque chaque concession à la culture occidentale dominante, même apparemment très banale, a eu des conséquences aussi dévastatrices pour leur peuple. Compromettre un aspect de la tradition tribale – spirituelle, culturelle ou politique –, c’est compromettre le système entier.
Bien sûr, notre tradition n’est pas la tradition indienne américaine, mais la tradition européenne. Nous ne faisons pas d’excuses pour cela. Tout comme le biorégionaliste, le défenseur de la culture intégrale européenne désire « vivre sur place » dans une communauté humaine organique et homogène, ainsi que dans un écosystème organique régional.
Nos idéaux sont simples :
(1) Resacralisation du monde contre matérialisme.
(2) Culture populaire traditionnelle contre culture de masse.
(3) Hiérarchie sociale naturelle (basée, peut-être, sur les « trois fonctions » de Dumézil) contre une hiérarchie artificielle basée sur la richesse.
(4) La communauté tribale contre l’Etat-nation.
(5) Prendre soin de la terre, et non la « maximisation des ressources ».
(6) Relation harmonieuse entre hommes et femmes, et non « guerre entre les sexes ».
(7) Arts manuels et artisanat, et non production industrielle de masse.
Cependant, nous ne sommes pas des révolutionnaires ou des politiciens. Nous ne votons pas et nous ne participons pas au processus politique. Nous n’avons pas de panacée pour la condition moderne. Nous ne sommes pas certains non plus qu’une « solution » soit même possible.
Pourtant il y a des raisons de ne pas désespérer.
Paradoxalement, peut-être, l’un des avantages de vivre dans la période moderne est le formidable nombre d’options qui nous sont offertes si nous choisissons de suivre un « scénario » antimoderne dans nos propres vies. Bien que ces libertés soient de plus en plus menacées à mesure que la Machine tente de consolider son pouvoir, elles existent toujours pour ceux qui ont la force d’en tirer parti. Dans une certaine mesure, on peut se vacciner contre la culture de masse. Il est encore possible de vivre en accord avec la tradition. Il est encore possible de pratiquer une discipline spirituelle, et d’être un humain honorable – d’être un homme complet ou une femme complète dans un monde d’automates. Ce sont peut-être les seules options révolutionnaires qui restent.
Dans les pages de TYR nous examinerons la tradition européenne (ou indo-européenne) et les différentes perspectives des groupes et des individus qui ont pris fait et cause pour cette tradition. Nous développons une critique de la modernité, guidée par l’idée de culture intégrale. Et nous organiserons l’émergence de la « contre-culture » païenne contemporaine qui prend aujourd’hui forme en Europe et en Amérique du Nord. Rejoignez-nous.
– Les Rédacteurs, printemps 2002.
QUATRIEME PAGE DE COUVERTURE
TYR EST NOMMEE D’APRES LE DIEU GERMANIQUE DU CIEL, GARDIEN DE L’ORDRE TRANSCENDANT ET ETERNEL.
Publiée annuellement, TYR célèbre les mythes, la culture et les institutions sociales traditionnels de l’Europe préchrétienne et pré-moderne. Elle inclut des articles originaux et en profondeur, des interviews, des traductions de travaux essentiels de penseurs traditionalistes radicaux et antimodernes, ainsi que des recensions détaillées de livres, de films, de musique, et d’œuvres artistiques.
EXTRAIT DE LA PREFACE :
QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE D’ETRE UN TRADITIONALISTE RADICAL ?
Cela signifie rejeter le règne matérialiste moderne de « la quantité sur la qualité », l’absence de toute valeur spirituelle significative, la dévastation environnementale, la mécanisation et la spécialisation excessive de la vie urbaine, et l’impérialisme de la mono-culture collective, avec ses « valeurs » vulgaires de progrès et d’efficacité. Cela signifie la nostalgie des petites sociétés tribales homogènes qui s’épanouissaient avant le christianisme – des sociétés dans lesquelles tous les aspects de la vie étaient intégrés dans un système holistique.
CE QUE NOUS REPRESENTONS :
Resacralisation du monde contre matérialisme ; culture populaire traditionnelle contre culture de masse ; ordre social naturel contre une hiérarchie artificielle basée sur la richesse ; la communauté tribale contre l’Etat-nation ; prendre soin de la terre, et non la « maximisation des ressources » ; relation harmonieuse entre hommes et femmes, et non « guerre entre les sexes » ; arts manuels et artisanat, et non production industrielle de masse.
SUR LES REDACTEURS
Joshua Buckley est né en 1974 à Sharon, dans le Connecticut. Il a été un contributeur occasionnel à plusieurs périodiques païens et ayant un rapport avec la musique, incluant Vor Tru. Il vit et travaille actuellement à Atlanta en Géorgie. Pour le moment, ses zones d’intérêt incluent le Iyengar Yoga, l’usage de drogues psychotropes dans le contexte de la tradition européenne, et la musique anglaise, irlandaise et scandinave.
Collin Cleary est un érudit indépendant vivant à Sandpoint dans l’Idaho. Il est Compagnon de la Rune-Gild et contributeur à Rûna. Son projet à long terme est d’effectuer une synthèse de tous les systèmes mythologiques indo-européens sous la forme d’un poème épique, et de codifier les aspects fondamentaux de la vision-du-monde indo-européenne dans une série d’essais philosophiques.
Michael Moynihan est né en 1969 en Nouvelle Angleterre. Il est musicien, auteur, artiste et éditeur. Il a enregistré et joué de la musique aux USA, en Europe et au Japon. Le dernier album de son projet musical – ainsi que d’Annabel Lee – Blood Axis, est Absinthe : La Folie Verte, une collaboration avec le groupe français Les Joyaux de la Princesse. Son livre Lords of Chaos (en collaboration avec Didrik Söderlind ; publié par Feral House) a été récemment traduit en allemand. Il a contribué à l’anthologie Apocalypse Culture II (Feral House) et a récemment préparé Introduction à la magie et Les hommes au milieu des ruines par Julius Evola (tous deux publiés par Inner Traditions), ainsi qu’un volume d’écrits de K.M. Wiligut intitulé The Secret King (traduit par S. E. Flowers). Il est le Rédacteur nord-américain de Rûna, publiée par Ian Read à Londres.
Traduction de l’article paru dans le journal néo-païen TYR, vol. 1, USA 2002
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