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Le spectre du populisme
Les révoltes populistes de 2016 — le Brexit et l’élection de Donald Trump — ne sont pas des événements marquants comme les révolutions de 1789 et 1848. Pas encore en tous cas. Mais vous n’y croiriez pas en voyant la panique qui a parcouru les élites politiques occidentales.
Bernard-Henri Lévy dénonça le Brexit comme la “victoire de la forme la plus rance de souveraineté et la forme la plus idiote de nationalisme” ; Jacques Attali dénonça la “dictature du populisme” ; Alain Minc déplora la victoire “des gens mal-éduqués sur les bien-éduqués” ; et Daniel Cohn-Bendit s’exclama simplement : “Je suis dégoûté du peuple !” [1].
Le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker mit en garde contre le “populisme galopant” ; l’Institut Tony Blair pour le Changement Global déclara que les populistes “représentent une menace réelle pour la démocratie elle-même” ; et le pape François, qui sait quelque chose du bien et du mal, admonesta le monde en disant : “Le populisme est mauvais et finit mal” [2].
C’est un lieu commun pour les journalistes et les politiciens de dénigrer les électeurs populistes comme une “racaille” ou une “populace” motivée par l’“ignorance”, la “peur” et la “haine”, incluant le “racisme” et la “xénophobie”. Ils décrivent aussi les politiciens populistes comme des “démagogues” qui “flattent” les pires instincts de la foule — contrairement aux hommes politiques édifiants du centre-gauche et du centre-droit.
Le populisme cherche à sauver le gouvernement populaire de ses élites corrompues. Il n’est pas surprenant que les élites ripostent. Ce qui est surprenant, cependant, c’est leur franche expression de peur et de haine envers le peuple, qui ne peut que renforcer les convictions populistes. Un comportement aussi autodestructeur est finalement encourageant. Des élites aussi arrogantes et impulsives ont peu d’avenir.
Je souhaite défendre le populisme contre deux critiques faites par l’élite.
D’abord, le populisme est couramment accusé d’être “anti-démocratique”. Yascha Mounk présente le populisme comme “le peuple contre la démocratie” [3]. Je dis que le populisme n’est pas anti-démocratique, mais qu’il est anti-libéral.
Ensuite, de nombreux critiques du populisme l’accusent d’être une forme de politique identitaire blanche, et de nombreux critiques de la politique identitaire blanche l’accusent d’être populiste. Je dis que le populisme et la politique identitaire blanche sont distincts mais qu’ils se chevauchent parfois. Le populisme et la politique identitaire blanche, cependant, se complètent l’un l’autre, de sorte que la plus forte forme de politique identitaire blanche est populiste, et que la plus forte forme de populisme est identitaire.
Mais nous devons d’abord clarifier ce qu’est réellement le populisme.
Idéologie politique ou style politique ?
L’une des affirmations les plus superficielles sur le populisme est que ce n’est pas une idéologie politique mais simplement un “style politique”. Une idéologie est un ensemble de principes. Un style politique est une manière d’incarner et de communiquer des principes politiques. L’idée que le populisme est simplement un style politique est basée sur l’observation qu’il y a des populismes de gauche et de droite, donc comment pourrait-il être une idéologie unifiée ? Bien sûr, il y a aussi des libéralismes de gauche et de droite, mais cela n’implique pas que le libéralisme soit simplement un style de politique plutôt qu’une idéologie politique.
Principes du populisme
Qu’est ce que l’idéologie du populisme ? Quels sont ses principes de base ? De même que le libéralisme de droite et de gauche fait appel à des principes politiques ordinaires, les populistes de droite et de gauche ont aussi les mêmes idées politiques de base :
- Tous les populistes font appel au principe de la souveraineté populaire. Souveraineté signifie qu’un peuple est indépendant des autres peuples. Une nation souveraine est maîtresse de ses propres affaires internes. Elle peut poursuivre ses propres fins, au lieu d’être subordonnée aux fins des autres, comme un peuple étranger ou un monarque. La souveraineté du peuple est l’idée que le gouvernement légitime est “du peuple, par le peuple, pour le peuple”, signifiant que (1) le peuple doit d’une manière ou d’une autre participer au gouvernement, c’est-à-dire qu’il se gouverne lui-même, et (2) l’Etat agit dans l’intérêt du peuple dans son ensemble, c’est-à-dire pour le bien commun.
- Tous les populistes mobilisent politiquement sur la prémisse que le gouvernement populaire a été trahi par une infime minorité d’initiés politiques, qui se sont arrogés le droit du peuple à l’auto-gouvernement et qui gouvernent pour leurs propres intérêts factionnels, ou pour des intérêts étrangers, mais pas dans l’intérêt du peuple dans son ensemble. Les populistes déclarent que le système politique est en crise.
- Tous les populistes soutiennent que la souveraineté du peuple doit être restaurée (1) en assurant une plus grande participation populaire dans la politique et (2) en remplaçant les élites félonnes par de loyaux serviteurs du peuple. Les populistes se présentent ainsi comme sauvant la souveraineté populaire face à une crise.
Deux sens pour “le peuple”
Quand les populistes disent que le peuple est souverain, ils veulent dire le peuple dans son ensemble. Quand les populistes opposent “le peuple” aux “élites”, ils opposent l’immense majorité, qui est extérieure à la politique, aux élites, qui sont des initiés politiques. Le but du populisme, cependant, est de restaurer l’unité du peuple souverain en éliminant les conflits d’intérêt entre les élites et le peuple.
Appartenance ethnique et civique
Il y a deux manières fondamentales de définir un peuple : ethnique et civique. Un groupe ethnique est unifié par le sang, la culture, et l’histoire. Un groupe ethnique est une famille élargie avec une langue et une histoire communes. Les groupes ethniques émergent toujours dans un lieu particulier mais n’y restent pas forcément.
Une conception civique de l’appartenance au peuple est une construction qui cherche à imposer l’unité à une société composée de groupes ethniques différents, dépourvus d’ascendance, de culture et d’histoire communes. Par exemple, les nationalistes civiques affirment qu’une personne peut devenir britannique, américaine ou danoise simplement par décret gouvernemental, c’est-à-dire en recevant une citoyenneté légale.
Le nationalisme ethnique tire sa force de l’unité et de l’homogénéité. Les groupes ethniquement définis grandissent avant tout par la reproduction, bien qu’ils aient toujours reconnu que quelques étrangers peuvent être “naturalisés” — c’est-à-dire “assimilés” dans le corps politique — bien que rarement et avec beaucoup d’efforts.
Le nationalisme civique manque de la force de l’unité mais vise à limiter cette faiblesse en construisant et en imposant une idéologie civique. Les nationalistes civiques espèrent aussi compenser la diversité par la force du nombre, puisqu’en principe le monde entier peut avoir des papiers d’identité émis par un Etat central.
Un peuple civique est une pure construction sociale imposée à un ensemble d’humains particuliers qui n’ont pas besoin d’avoir plus en commun que de marcher sur deux jambes et d’avoir des papiers de citoyenneté. Les conceptions civiques de l’appartenance au peuple vont donc main dans la main avec la position nominaliste radicale selon laquelle seuls des individus, et non des collectifs, existent dans le monde réel. Les groupes sont de simples “constructions sociales”.
Un peuple ethnique est beaucoup plus qu’une construction sociale. Avant tout, les groupes de parenté ethnique sont de véritables collectifs biologiques. Au-delà de cela, bien que les groupes ethniques soient distingués des autres groupes biologiquement similaires par des différences de langue, de culture et d’histoire, il y a une distinction entre des pratiques sociales évoluées comme la langue et la culture et de simples décrets législatifs et autres constructions sociales.
Les peuples ethniques existent même sans leurs propres Etats. Il existe de nombreux peuples sans Etat dans le monde. Mais les peuples civiques n’existent pas sans un Etat. Les Cités civiques sont des constructions des élites qui contrôlent les Etats.
Populisme et élitisme
Le populisme est opposé à l’élitisme. Mais les populistes ne sont pas contre les élites en tant que telles. Les populistes s’opposent aux élites pour deux raisons principales : lorsqu’elles ne font pas partie du peuple et lorsqu’elles exploitent le peuple. Les populistes approuvent les élites qui font organiquement partie du peuple et qui fonctionnent comme des serviteurs du peuple dans son ensemble.
Les populistes reconnaissent que les gens diffèrent en termes d’intelligence, de vertu, et de talent. Les populistes veulent avoir les gens les mieux qualifiés aux postes importants. Mais ils veulent s’assurer que les élites travaillent pour le bien commun de la cité, et non pour leurs propres intérêts factionnels (ou pour des intérêts étrangers). Pour assurer cela, les populistes souhaitent donner au peuple le pouvoir de contrôler le pouvoir des élites, et créer de nouvelles élites qui sont organiquement liées au peuple et qui mettent le bien commun au-dessus de leurs intérêts privés.
Populisme et républicanisme classique
Quand des spécialistes de science politique et des commentateurs politiques discutent de l’histoire du populisme, la plupart commencent par les mouvements agrariens du XIXe siècle comme les Narodniki en Russie et le Parti du Peuple aux Etats-Unis. Mais le populisme du XIXe siècle regardait vers les républiques du monde antique, spécifiquement le “régime mixte” de Rome.
La Politique d’Aristote est la plus influente théorie du régime mixte [4]. Aristote observa qu’une société peut être gouvernée par un seul homme, par quelques hommes, ou par un grand nombre d’hommes. Mais une société ne peut jamais être gouvernée par tous les hommes, parce que toute société inclut inévitablement des gens qui sont incapables de participer au gouvernement du fait d’un manque de capacité, par exemple les très jeunes, les fous, et les séniles.
Aristote observa aussi qu’un seul homme, un petit nombre, ou un grand nombre pouvaient gouverner pour leurs intérêts factionnels ou pour le bien commun. Lorsqu’un seul homme gouverne pour le bien commun, nous avons la monarchie. Lorsqu’il gouverne pour ses intérêts privés, nous avons la tyrannie. Lorsqu’un petit nombre gouverne pour le bien commun, nous avons l’aristocratie. Lorsqu’un petit nombre gouverne pour ses intérêts privés, nous avons l’oligarchie. Lorsqu’un grand nombre gouverne pour le bien commun, nous avons nous avons une Cité. Lorsqu’un grand nombre gouverne pour leurs intérêts factionnels, nous avons la démocratie.
Il est intéressant de savoir que pour Aristote, la démocratie est mauvaise par définition et qu’il dut inventer un mot nouveau, la “Cité”, pour la bonne sorte de gouvernement populaire qui était probablement si rare que personne n’avait jamais inventé un terme pour cela.
Aristote reconnaissait que le gouvernement d’un seul homme ou d’un petit nombre d’hommes est toujours le gouvernement des riches, que ce soit la richesse qui est utilisée pour acheter le pouvoir politique ou que ce soit le pouvoir politique qui est utilisé pour s’assurer la richesse. Donc le gouvernement populaire donne toujours le pouvoir à ceux qui sont dépourvus de richesse. Les très pauvres, cependant, tendent à être aliénés, serviles, et avides. Mais les citoyens de classe moyenne travaillant à leur compte ont un enjeu dans le futur, des horizons à long terme, et des loisirs suffisants pour participer à la politique. Ainsi le gouvernement populaire tend à être stable lorsqu’il donne le pouvoir à la classe moyenne, et chaotique lorsqu’il donne le pouvoir aux éléments les plus pauvres.
Finalement, Aristote reconnaissait qu’un régime qui associe gouvernement d’un seul homme, d’un petit nombre et d’un grand nombre a plus de chances de servir le bien commun, pas simplement parce que chaque groupe a de l’esprit civique, mais aussi parce qu’ils sont tous jaloux de protéger leurs intérêts privés et de ne pas être dépouillés par les autres. Aristote fut donc le premier théoricien du “régime mixte”. Mais il observait simplement le fonctionnement des régimes mixtes existant réellement, comme celui de Sparte.
On peut générer le populisme moderne très facilement à partir des prémisses d’Aristote. L’idée d’Aristote du bien commun est la base de l’idée de souveraineté populaire, qui signifie, d’abord et avant tout, que le gouvernement légitime doit rechercher le bien commun du peuple.
Au-delà de cela, Aristote disait que la meilleure façon d’assurer le gouvernement légitime est de donner au grand nombre — spécifiquement à la classe moyenne — le pouvoir de participer au gouvernement. La position par défaut de chaque société est d’être gouvernée par un seul homme ou par un petit nombre. Quand les élites gouvernent d’une façon égoïste et oppriment le peuple, les gens veulent naturellement rectifier cela en demandant la participation au gouvernement. Ils peuvent bien sûr utiliser leur pouvoir simplement pour satisfaire leurs intérêts factionnels, et c’est pourquoi la démocratie a toujours été crainte. Mais si le gouvernement populaire est injuste, il est aussi instable. Donc pour être stable et salutaire, le règne populaire doit viser au bien commun de la société.
Le grand théoricien de la souveraineté populaire est Jean-Jacques Rousseau. Dans son livre Du contrat social, Rousseau affirme que la Volonté générale est la source de la souveraineté et de la légitimité. Qu’est-ce que la Volonté générale ? La Volonté générale veut le bien commun. Le bien commun n’est pas une convention ou une construction de la Volonté générale mais plutôt un fait objectif qui doit être découvert et ensuite atteint par l’action politique.
Rousseau distingue la Volonté générale de la Volonté de tous. La Volonté générale est ce que nous devons vouloir. La Volonté de tous est ce qu’il nous arrive de vouloir. La Volonté de tous peut être erronée, cependant. Donc nous ne pouvons pas déterminer la Volonté générale simplement en sondant les gens.
Rousseau soutient même la possibilité qu’une élite, ou un dictateur, peut connaître la Volonté générale mieux que la populace dans son ensemble [5]. Mais peu importe la manière dont la Volonté générale est déterminée — et peu importe qui contrôle les leviers de pouvoir — la légitimité politique naît du bien commun du peuple.
Populisme et représentation
Le populisme est souvent associé à la démocratie “directe”, par opposition à la démocratie “représentative”. Les populistes tendent à favoriser les référendums et les plébiscites, dans lesquels l’électorat dans son ensemble décide sur les questions importantes, au lieu de leur permettre d’en décider par des représentants au parlement. En vérité, cependant, il n’existe pas de démocratie directe dans laquelle la totalité du peuple agisse. Même dans les plébiscites, certaines personnes représentent toujours l’intérêt des autres. Ainsi la démocratie requiert toujours un certain degré de représentation.
On ne peut voter que dans le présent. Mais un peuple ne consiste pas seulement en ses membres présents. Il consiste aussi en ses membres passés et en ses membres futurs. Nos ancêtres sont importants pour nous. Ils ont créé une société et nous l’ont transmise. Ils ont établi des standards par lesquels nous nous mesurons. Et de même que nos ancêtres ne vivaient pas seulement pour eux-mêmes mais pour leur postérité, les gens prennent aujourd’hui des décisions qui affectent les générations futures. Ainsi, dans chaque décision démocratique, les vivants doivent représenter les intérêts des morts et de ceux qui ne sont pas encore nés.
De plus, à l’intérieur de la présente génération, certains sont trop jeunes pour participer à la politique. D’autres sont incapables du fait d’une inaptitude. Le principe de base pour exclure des gens vivants de l’électorat est qu’ils feraient baisser la qualité de la prise de décision politique. Cependant, ils font tout de même partie du peuple et ont des intérêts légitimes. Donc l’électorat doit représenter leurs intérêts aussi.
En plus de cela, il y a parmi les adultes compétents des distinctions qui peuvent conduire à d’autres restrictions de l’électorat, toujours pour élever la qualité de la prise de décision politique. Par exemple, des gens ont dit que le droit de vote devrait être limité aux hommes (parce qu’ils sont les gardiens naturels de la société ou parce qu’ils sont plus rationnels que les femmes), ou aux gens possédant des biens (parce qu’ils ont plus à perdre), ou aux gens ayant des enfants (parce qu’ils ont un plus grand enjeu dans le futur), ou aux vétérans militaires (parce qu’ils se sont révélés prêts à mourir, si nécessaire, pour le bien commun). Mais encore une fois, tous ceux qui sont exclus du droit de vote font quand même partie du peuple, avec des intérêts qui doivent être respectés. Donc ils doivent être représentés par l’électorat.
Donc même dans un plébiscite, le peuple dans son ensemble est représenté seulement par une partie, l’électorat. En plus de cela, à moins que le vote ne soit obligatoire, tous les membres de l’électorat ne choisiront pas de voter. Donc ceux qui ne votent pas sont représentés par ceux qui votent.
Jusqu’ici, cet exercice mental ne s’est même pas attaqué à la question de la démocratie représentative, qui pousse le processus un pas plus loin. Un représentant élu peut représenter des centaines de milliers ou des millions d’électeurs. Et ces électeurs à leur tour représentent des non-votants qui ont le droit de vote, ainsi que ceux qui n’ont pas le droit de vote, et en plus de cela, ceux qui ne sont pas présents pour voter parce qu’ils sont morts ou pas encore nés. Les pas-encore-nés sont un nombre indéfini que nous espérons être infini, ce qui signifie que notre peuple ne mourra jamais. Il semble miraculeux qu’une telle multitude puisse même être représentée par une poignée relative de représentants (aux USA, 535 Représentants et Sénateurs pour plus de 300 millions de gens vivants et d’innombables milliards de morts et de pas-encore-nés). Gardez aussi à l’esprit que presque chaque politicien moderne prétendra avec passion penser réellement au bien de toute la race humaine.
Mais nous n’avons pas encore escaladé le sommet le plus élevé, car les gens pensent très spontanément que le président, le premier ministre, ou le monarque — un seul individu — représente les intérêts de tout le corps politique. Même si ce n’est pas leur rôle constitutionnel, il y a des circonstances — comme les urgences — dans lesquelles de tels dirigeants sont censés avoir l’intuition du bien commun et agir en conséquence.
Donc il n’est pas surprenant que les cyniques souhaitent affirmer que l’idée même d’un peuple souverain, d’un bien commun, et l’aptitude à les représenter dans la politique sont simplement des mythes et du baratin. Ne vaudrait-il pas mieux remplacer ces mythes par des réalités concrètes, comme des individus égoïstes et des institutions froides qui les laissent tranquillement poursuivre leurs propres biens privés ?
Mais l’individu souverain et la “main invisible” sont en réalité plus problématiques que le peuple souverain et ses avatars. De la démocratie directe dans les petites villes aux révoltes populaires qui ont abattu le communisme, nous avons des exemples réels de peuples souverains se manifestant et exerçant le pouvoir. Nous avons des exemples réels de dirigeants représentant un peuple souverain, devinant le bien commun, et agissant pour l’assurer.
Il ne fait pas de doute que les peuples souverains exercent réellement le pouvoir pour leurs biens communs. Mais comment cela se produit, cela ressemble à de la magie. Cela explique pourquoi la souveraineté populaire s’effondre toujours. Ce qui explique à son tour pourquoi des mouvements populistes continuent à surgir pour rendre le pouvoir au peuple.
Populisme et démocratie
Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi le populisme n’est pas anti-démocratique. Le populisme est simplement un autre mot pour démocratie, comprise comme la souveraineté populaire plus le pouvoir politique donné au grand nombre. Les élites actuelles prétendent que le populisme menace la “démocratie”, parce qu’elles sont les avocates de la démocratie spécifiquement libérale.
Les démocrates libéraux affirment protéger les droits de l’individu et des minorités contre le majoritisme sans limites. Les démocrates libéraux défendent aussi le “pluralisme”. Enfin, les démocrates libéraux soulignent que la majorité n’est simplement pas compétente pour participer directement au gouvernement, donc elle doit se contenter d’élire des représentants dans une classe politique établie et des partis politiques. De plus, ces représentants donnent une grande latitude aux technocrates non-élus de la bureaucratie permanente.
La démocratie libérale, en bref, est anti-majoritaire et élitiste. Les populistes reconnaissent que de tels régimes peuvent travailler pour le bien public, tant que les élites dirigeantes font partie du peuple et se voient comme ses serviteurs. Mais sans la supervision et le pouvoir donné au peuple, il n’y a rien pour empêcher la démocratie libérale de se transformer en règne d’élites corrompues pour leurs intérêts privés et pour des intérêts étrangers. C’est pourquoi le populisme est en hausse : pour éradiquer la corruption et restaurer la souveraineté populaire et le bien commun.
Les populistes n’ont pas besoin de rejeter les protections libérales pour les individus et les minorités, ethniques ou politiques. Ils n’ont pas besoin de rejeter le “pluralisme” lorsqu’il est compris comme la liberté d’opinion et la démocratie multipartis. Les populistes ne rejettent même pas les élites, la représentation politique, et la compétence technocratique. Les populistes peuvent apprécier toutes ces choses. Mais ils apprécient le bien commun du peuple encore plus, et ils reconnaissent que les valeurs libérales ne servent pas nécessairement le bien commun. Lorsqu’elles ne le font pas, elles doivent être recadrées. Les libéraux, cependant, tendent à mettre leur idéologie au-dessus du bien commun, ce qui mène à la corruption du gouvernement populaire. Le libéralisme idéologique est une maladie de la démocratie. Le populisme est le remède.
Populisme et politique identitaire blanche
Quel est le lien entre populisme et politique identitaire blanche ? Je suis à la fois un populiste et un défenseur de la politique identitaire blanche. Mais il y a des défenseurs de la politique identitaire blanche qui sont anti-populistes (par exemple, ceux qui sont influencés par le traditionalisme et le monarchisme), et il y a des populistes non-blancs dans le monde (par exemple, Rodrigo Duterte aux Philippines et Thaksin Shinawatra en Thailande).
Cependant, même s’il n’y a pas de lien nécessaire entre populisme et politique identitaire blanche, je souhaite dire que les deux mouvements devraient travailler ensemble dans tous les pays blancs. Les identitaires blancs seront renforcés par le populisme, et le populisme sera renforcé par les appels à l’identité blanche.
Pourquoi les identitaires blancs devraient-ils s’aligner avec le populisme ? Roger Eatwell et Matthew Goodwin disent dans National Populism: The Revolt Against Liberal Democracy que la montée du national-populisme est motivée par ce qu’ils appellent “les Quatre D”. Le premier est Distrust [Méfiance], c’est-à-dire l’effondrement de la confiance publique dans le gouvernement. Le deuxième est Destruction, spécifiquement le destruction de l’identité, la destruction de la composition ethnique de leurs patries du fait de l’immigration et du multiculturalisme. La troisième tendance est Deprivation [Perte], faisant référence à l’effondrement des niveaux de vie du Premier Monde, spécialement les niveaux de vie de la classe moyenne et de la classe ouvrière, du fait de la mondialisation. La dernière tendance est Dealignment [non-identification], c’est-à-dire l’abandon des duopôles centre-gauche/centre-droit communs dans les démocraties post-Seconde Guerre mondiale.
La Destruction de l’identité du fait de l’immigration et du multiculturalisme est une question centrale pour les identitaires blancs. La Perte causée par la mondialisation est aussi l’une de nos questions centrales. La seule manière de régler ces problèmes est d’adopter des politiques identitaires blanches, c’est-à-dire de faire passer les intérêts et l’identité des Blancs indigènes en premier. Si ce principe est entériné, tout ce que nous voulons suivra naturellement. C’est juste une question de temps et de volonté.
Quant à la Méfiance et à la Non-identification, elles peuvent jouer pour ou contre nous, mais nous pouvons certainement nous relier à elles, et nous pouvons aussi y contribuer et les former.
Eatwell et Goodwin disent que les “Quatre D” ont des racines profondes et affecteront la politique pour les décennies à venir. Le national-populisme est la vague du futur, et nous devrions la chevaucher jusqu’au pouvoir politique.
Pourquoi les populistes doivent-ils faire appel à l’identité blanche ? Tout se résume à ce qu’on entend par peuple. Le peuple est-il en son essence un groupe ethnique, ou est-il défini en termes purement civiques ? Les populistes de droite font appel explicitement ou implicitement à des questions identitaires. Les populistes de gauche préfèrent définir le peuple en termes civiques ou de classe et se concentrer sur les questions économiques. Puisque, comme le disent Eatwell et Goodwin, les questions identitaires et économiques conduisent toutes deux à la montée du populisme, les populistes de droite auront un attrait plus large parce qu’ils font appel à la fois aux questions identitaires et économiques.
La grande tâche des identitaires blancs aujourd’hui est de détruire la légitimité du nationalisme civique et de pousser le populisme de la droite vers un identitarisme blanc explicite.
Justifier la souveraineté populaire
Si le populisme est basé sur la souveraineté populaire, une défense du populisme ne requiert-elle pas une défense de la souveraineté populaire ? Philosophiquement parlant, la réponse est oui. Mais dans le contexte des débats politiques modernes, la réponse est non, parce que dans les débats démocratiques, on ne va nulle part en parlant contre la démocratie. Donc dans le domaine politique, la question n’est pas “Pourquoi la souveraineté populaire ?”, mais plutôt “Pourquoi pas la souveraineté populaire ?”
Que diriez-vous à un peuple dont vous souhaitez nier la souveraineté ? Vous devriez leur dire qu’ils n’ont pas le droit de contrôler leurs propres affaires et de poursuivre leurs propres buts. Au contraire, ils doivent faire ce que vous leur dites parce qu’ils doivent servir vos fins, qui sont plus importantes. Peut-être que vous souhaitez les gouverner parce que leur territoire contient des ressources précieuses que vous souhaitez contrôler. Peut-être que vous considérez les gens eux-mêmes comme des ressources que vous souhaitez contrôler. Bref, vous êtes en train de leur dire que vous voulez faire d’eux vos esclaves.
Il faut vraiment se demander si une discussion est la réponse appropriée à une telle déclaration d’hostilité sans fard. Quand quelqu’un vous déclare que vous êtes simplement un outil pour ses propres fins, il ne devrait pas être surpris si vous sortez votre revolver.
Mais aucun des critiques du populisme n’est aussi effronté, pas même Bernard-Henri Lévy. Le libéralisme n’a pas triomphé en rejetant la souveraineté populaire, mais en la subvertissant. C’est la raison pour laquelle les élites sont aussi hystériques concernant la montée du populisme. Cela les met sur le gril. S’ils affirment la souveraineté populaire, alors le populisme est le seul résultat logique.S’ils dénient la souveraineté populaire, alors bonne chance pour faire voter les gens en faveur de cela. Donc ils préféreraient éviter entièrement la discussion. Mais nous ne pouvons pas le leur permettre. Nous devons pousser cet avantage en exigeant qu’ils vivent d’après le principe de la souvraineté populaire, qui donne le pouvoir au peuple qu’ils détestent. Dans un débat honnête, la démocratie illibérale battra le libéralisme non-démocratique à tous les coups.
Ce discours fut écrit pour le Forum de Scandza à Copenhague au Danemark le 12 octobre 2019, mais il ne fut pas prononcé parce que les Antifas assiégèrent le lieu de réunion et m’empêchèrent d’entrer.
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[1] Cité dans Alain de Benoist, “What Is Populism?” in Democracy and Populism: The Telos Essays, ed. Russell A. Berman and Timothy W. Luke (Candor, N.Y.: Telos Press, 2018), p. 335.
[2] Cité dans Benjamin Moffitt, Populism (London: Polity, 2020), p. 2.
[3] Yascha Mounk, The People vs. Democracy: Why Our Freedom is in Danger and How to Save It (Cambridge: Harvard University Press, 2018).
[4] Voir Greg Johnson, “Introduction to Aristotle’s Politics,” From Plato to Postmodernism (San Francisco: Counter-Currents, 2019).
[5] Voir Greg Johnson, “Forced to Be Free: The Case for Paternalism,” Confessions of a Reluctant Hater, 2nd ed. (San Francisco: Counter-Currents, 2016).
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