Sur la liberté

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Eugène Delacroix, «La Liberté Guidant le peuple», 1839

2.158 mots

English original here [2]

«La vie est-elle si précieuse ou la paix si douce qu’elles doivent être achetées au prix des chaînes et de l’esclavage? Dieu Tout-Puissant! Je ne sais pas ce que d’autres feront, mais pour ma part, donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort!»

Les mots passionnés de Patrick Henry, à présent âgés de près de deux siècles, sont peut-être les plus connus et les plus chéris jamais prononcés en Amérique. Aucun vrai Américain — enfin, aucun vrai Américain de la race d’Henry — ne peut lire ces mots aujourd’hui sans en être secoué.

L’amour de la liberté dans notre sang

Peu importe à quel point notre éducation a été «libérale», ou combien de propagande de reddition et de faiblesse nous a été tassée dans le crâne. L’appel des mots d’Henry trouve sa réponse dans notre sang — dans nos gènes, où il a reposé ces vingt derniers siècles et au-delà.

Le paysan-guerrier qui a typifié ce qu’il y a de mieux dans notre race au travers des âges passés peut n’avoir que peu de place dans le monde malade et complotant d’aujourd’hui, mais tant que coule son sang, relativement peu pollué, dans nos veines, même le citadin le plus acclimaté démocratiquement d’entre nous doit sentir la sueur froide couler le long de sa nuque lorsque sonne l’appel de prendre les armes contre un tyran.

La perversion de la Liberté

Mais qu’est-ce que cela a à voir avec ce qui porte de nos jours le masque de la «liberté»? Quelle connexion a le sentiment exprimé avec tant d’éloquence en 1775 par Patrick Henry avec l’insistance pernicieuse d’une liberté poussant à faire «ce qu’on veut» parmi toutes les pratiques dégénérées et perverses d’aujourd’hui? Qu’est-ce que cela a à voir avec la demande rauque pour la «Liberté maintenant!» hurlée par des Noirs qui veulent un plus gros morceau de l’État-Providence — ou sinon?

La racine latine de laquelle émerge le mot «liberté» est prolifique; elle a également donné «libéral», «libertaire» et «libertin». Tous ces mots partagent une implication générale de «manque de restrictions». Le champ de signification qu’on leur donne est en revanche énorme.

Car quel golfe y a-t-il entre la «liberté» de Patrick Henry — liberté d’une domination politique et économique exercée par un tyran étranger — et la «liberté» de nos libertariens actuels — libération de l’individu de toute contrainte imposée par la société. Dans le premier cas on parle des possessions les plus valeureuses et chéries de l’Homme occidental; dans l’autre, simplement d’une manifestation de la maladie qu’on appelle libéralisme, qui emporte promptement l’Homme occidental vers son extinction.

La Liberté n’est pas un absolu

La liberté n’ayant pas de signification absolue, elle n’a pas non plus de valeur absolue. Être libre d’une tyrannie étrangère, afin de pouvoir exprimer nos propres formes culturelles et sociales plutôt que celles qui ne sont pas nôtres — c’est bien. Amener la quête pour la «liberté d’expression» au point où l’on rejette toute norme sociale et toute tradition culturelle en faveur d’un chaos sans forme et sans norme — ce n’est pas bien.

La liberté de rechercher, explorer, expérimenter, inventer — tout cela est à la fois bon et nécessaire si notre race veut avancer et accomplir sa destinée. La liberté d’ignorer toute autorité, d’échapper à toute obligation, de se livrer à tous les caprices — ce n’est ni bon ni progressif.

Une vision libertaire simpliste

La grande sursimplification du libertaire est le postulat selon lequel la liberté est un absolu — que l’Homme est libre ou qu’il ne l’est pas — si l’on veut la liberté de rechercher, par exemple, alors devons-nous accepter comme concomitance nécessaire une liberté totale de complaisance.

D’où le spectacle familier de Sénateurs, d’éditeurs et d’éducateurs qui appellent à la défaite militaire de notre nation; de criminels Noirs appelant au meurtre de notre race; d’anarchistes de toutes les couleurs appelant à la destruction de notre culture pendant que nous sourions avec tolérance, quoiqu’un peu nerveusement, puisque l’on nous a appris que faire taire un traître c’est étrangler la liberté. Même donner un coup de poing dans la bouche d’un McGovern ou d’un Kennedy — ou d’un Nixon — pour le dénoncer pour ce qu’il est fait de nous des suspects en tant qu’ennemis de la liberté d’expression.

Masquarade sémantique

Quel non-sens! L’argument selon lequel si nous approuvons la liberté d’expression nous devons tolérer la subversion est une mascarade sémantique.

Une variation du même tour va ainsi: Loyauté, fierté et idéalisme raciaux sont une forme de «collectivisme», dans lequel l’emphase passe d’un individu à une plus large entité — la race — dont l’individu n’est qu’une partie composante. Insister sur le sacrifice ou la contrainte individuelle pour l’intérêt de la race revient à restreindre le champ des prérogatives individuelles — c.à.d. à limiter la liberté individuelle. De ce fait, si nous sommes pour la liberté, nous devons être contre l’idéalisme racial.

Atomisation de la société

La logique est sans faille. Et le même argument peut s’appliquer au patriotisme ou à n’importe quelle autre forme d’idéalisme qui requiert que l’individu subordone ses propres intérêts à ceux d’un ensemble social, national ou racial plus grand. Le libertarisme mène ainsi naturellement à une atomisation de la société.

Pour le libertaire, la race, la nation, sont seulement des assemblages d’individus, rien d’autre.

De ce point de vue, toute structure sociale — disons, un gouvernement — se justifie uniquement à partir du moment où elle offre une structure pratique dans laquelle une multitude d’atomes humains peuvent satisfaire expéditivement leurs désirs et ambitions individuels avec le moins possible de friction les uns avec les autres.

La «Liberté» dans le Système

Poursuivie à ce point, la liberté est insaisissable, et celui qui la poursuit ne pourra que se décevoir lui-même. Nos maîtres, les hommes qui dirigent le Système, ne sont pas aussi idiots. Ils comprennent mieux que personne la nature de la «liberté». Ils savent que pour nous rendre corvéables à merci il est rarement nécessaire de nos jours de recourir au fouet et aux chaînes.

Ils nous laissent donc aller librement, dire ce que nous voulons, choisir pour qui nous votons. Les États-Unis sont un pays «libre». Tous ce qui importe au Système, c’est que l’agrégat net de nos opinions, le résultat de nos élections, soient ce qu’ils ont décidé au préalable.

Il n’est pas plus possible de mettre un homme véritablement anti-Système à la Présidence en suivant le processus démocratique de ce pays que d’amener le Système à trancher sa propre gorge. Mais cela ne dérange pas les hommes du Système que nous nous égarions à penser que c’est possible. En fait, ils préfèrent que ce soit ainsi.

Ânes et Hommes

On peut amener un âne d’un point «A» à un point «B» en nouant une corde autour de son cou et en tirant assez fort. On peut accomplir la même chose en plaçant l’avoine et l’eau de l’âne bien en vue au point «B», en faisant en sorte qu’aucune autre source de nourriture ne soit directement accessible.

L’âne est-il vraiment plus «libre» dans le second cas que dans le premier? Il est aisé de dire que dans le second cas l’âne aurait pu décider de ne pas aller vers l’avoine. Le fait est que l’on peut prédéterminer le comportement de l’âne avec quasi-certitude, par simple manipulation d’un stimulus extérieur.

Lorsqu’il s’agit de gens plutôt que d’ânes, il faut être plus subtil, mais le principe reste le même.

Compulsion de nécessité

Nous aimons à penser que nous prenons nos propres décisions, que nous forgeons nos propres opinions, mais la plupart du temps c’est faux. Même en dehors du champ de la politique et des manipulateurs d’opinion publique, le soi-disant «libre» choix de l’homme est sujet à un millier de déterminants bien au-delà de son contrôle.

Même un seul habitant de la terre, libre de toute contrainte et inhibition sociale, resterait l’esclave du climat et de toutes les autres limites imposées par la Nature. De telles limites sont tout aussi efficaces pour réduire la liberté d’un homme — en restreignant la portée de ses actions — que ne le seraient les murs de n’importe quelle prison humaine.

Division du travail

Si l’on pense à la liberté en ces termes, il est aisé de voir qu’un seul habitant peut être considérablement moins libre qu’un membre d’un groupe social. Bien que l’appartenance à un groupe s’accompagne inévitablement de certaines restrictions, cela peu, pour un groupe proprement constitué, résulter en un bien plus grand champ d’action que ce qui est possible pour l’individu non affilié.

Par exemple, un seul habitant pourrait vouloir vouer sa vie à la musique ou à l’étude des mathématiques. Mais les nécessités quotidiennes de s’approvisionner en nourriture, vêtements et abri ne lui laisseraient certainement que peu de temps pour se livrer à de tels caprices. Et il est assez clair que ces restrictions naturelles limitent tout autant sa liberté de choix que, disons, des parents «répressifs» ou un gouvernement «totalitaire».

Seule la division du travail rendue possible par l’organisation sociale, avec la canalisation des énergies individuelles dans des domaines plutôt restreints, peut ouvrir à chacun le choix d’une carrière en musique ou en mathématiques.

Une illusion dangereuse

Ainsi l’idéal libertaire de l’homme en tant qu’esprit libre, faisant des choix rationnels indépendamment des conditions qui l’entourent n’est que pure illusion.

Peut-être tout cela devrait-il être évident en soi, mais apparemment ce n’est pas le cas. Il y a un nombre alarmant de jeunes gens de nos jours, aussi bien à droite qu’à gauche, qui parlent et agissent comme si la liberté était une chose absolue qui serait à leur portée s’il n’y avait pas diverses tendances «collectivistes» ou «répressives» dans le gouvernement et dans notre société actuelle.

La prévalence de ce dérangement libertaire peut n’être qu’un reflet des méthodes d’éducation infantile trop permissives de ces deux dernières décennies, mais peu importe d’où elle est venue, il faut la surmonter.

Bien plus que des morceaux additionnés

La doctrine selon laquelle une société n’est rien d’autre que la somme des individus qui la composent doit d’abord mener à l’atomisation de cette société, puis à sa destruction complète. Le monde occidental est à présent en train de plonger la tête la première dans cette dernière phase où, ironiquement, une folie obsessionnelle pour encore plus de liberté promet un point final à toutes les libertés.

Le grand génie social de l’homme occidental a été son talent pour ordonner sa société de telle sorte qu’il a obtenu ce qui est le plus proche du champ maximum de vraie liberté — à savoir, le plus grand champ possible pour des efforts humains. Dans l’ensemble il a évité à la fois l’extrême d’une désorganisation sociale que l’on appelle anarchie et l’extrême d’une super-organisation sociale qui résulte dans les caractéristiques de fourmilières des sociétés de l’Orient.

Ni atomes ni fourmis

Il a compris, pendant les grandes périodes de son histoire, que la liberté maximum — le potentiel social maximum — n’est obtenu que lorsque l’on fait un compromis méticuleux entre l’anarchie et la fourmilière.

Aller trop loin dans la direction de l’individualisme totalement débridé — donc s’approcher d’une société atomiste — revient à sacrifier le champ d’action qui existe uniquement lorsque la volonté de tout un peuple peut être unifiée et concentrée autour d’un but commun.

Totalement ignorer les qualités de l’individu — donc s’approcher d’une société basée sur l’égalitarisme marxiste, où les individus sont des unités économiques parfaitement interchangeables — revient à sacrifier le grand potentiel d’innovation, de création et d’encadrement qui n’existe pas dans les masses mais uniquement dans des individus exceptionnels.

Nous ne pouvons faire aucun de ces sacrifices et tout de même espérer sortir victorieux du combat pour l’existence qui fait à présent rage, et qui continuera à faire rage, entre les différentes races d’hommes sur cette planète jusqu’à ce que l’une d’entre elle soit suprême et que les autres se soient courbées.

Un compromis bruyant

De nos jours nous souffrons du pire des deux extrêmes. Nous vivons dans un environnement oppressant et surpeuplé avec de moins en moins d’intimité, de solitude, de paix et de quiétude. Nous nous sentons totalement impotents et insignifiants face à la monstruosité bureaucratique impersonnelle avec laquelle Big Brother gouverne nos vies.

Mais en même temps nous manquons totalement de solidarité — raciale, nationale, ou autre. Nous n’avons aucun but commun, aucune unité de volonté pour compenser la perte de notre intimité. Au lieu d’idéalisme désintéressé, règnent l’égoïsme et le matérialisme.

L’Amérique d’aujourd’hui est une fourmilière atomisée.

Le remède pour ce triste état de choses ne se trouve ni parmi les égoïstes libertaires ni parmi les collectivistes marxistes. Assez curieusement, cependant, ces deux factions se drapent de la bannière de la «liberté»!

Race et personnalité

Si nous cherchons la vraie liberté, ce que nous devons d’abord faire, c’est établir parmi nous, hommes occidentaux, ou parmi une portion de nous-mêmes sélectionnée avec soin, un objectif commun basé sur un véritable idéalisme. Ensuite nous devons fracasser le Système actuel, qui contrarie cet objectif, et construire une nouvelle société dans laquelle l’individu atteindra l’épanouissement personnel en servant la communauté, et où la communauté progressera en donnant, pour ces services, à chaque individu, le plus large champ d’action possible.

(Numéro 5, 1971)