La religion et la politique chrétiennes aryennes de Richard Wagner

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English original here [2]

« Je suis l’être le plus allemand. Je suis l’esprit allemand. » [1] — Richard Wagner

Richard Wagner (1813–1883) est aujourd’hui universellement célébré comme l’interprète achevé de l’opéra allemand du XIXe siècle, dont le langage romantique élaboré contribua à inaugurer les innovations musicales du Modernisme au début du XXe siècle. De plus, la plupart des gens pensent qu’il était une figure controversée à cause de ses idées antisémites marquées. Peu de gens, cependant, prennent la peine de lire attentivement ses diverses œuvres en prose pour comprendre le système éthique cohérent, basé sur Schopenhauer et Proudhon, qui accompagnait les grands drames musicaux de Wagner.

Puisqu’il est impossible de séparer l’esprit du musicien de sa musique, particulièrement quand c’est une musique exceptionnellement élaborée d’un génie comme Wagner, il pourrait nous être profitable d’avoir une claire idée des doctrines raciales-chrétiennes de régénération sociale et politique de Wagner à coté de notre appréciation plus facile de sa musique incroyablement puissante. Bien qu’il y ait eu quelques études sérieuses sur la pensée politique de Wagner ces dernières années, elles sont naturellement de qualité variable [2].

D’une manière générale, il vaudrait mieux éviter de classer Wagner – ainsi que Nietzsche, plus rhapsodique et non-systématique – dans l’un des « ismes » modernes, et donc j’essaierai ici d’élucider la philosophie de Wagner en indiquant simplement les passages cruciaux dans ses principales œuvres en prose qui éclairent les dimensions religieuses et politiques de sa pensée.

On pourrait dire pour commencer que Wagner n’examine dans son œuvre que l’histoire et la culture de la race indo-européenne, puisqu’il considère que celle-ci est la plus hautement développée spirituellement. Wagner tend à relier la force de cette faculté spirituelle aux habitudes diététiques de la souche originelle, c’est-à-dire à ce qu’il croyait avoir été son végétarisme originel.

Dans son essai tardif, « Religion et Art », écrit en 1880 sous l’influence de sa lecture de l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853) du comte Arthur de Gobineau, Wagner retrace l’histoire des Aryens à partir de ce qu’il considère comme ayant été leur foyer d’origine en Inde et postule une migration graduelle vers l’ouest à travers l’Iran, la Grèce, et Rome. Au cours de ces migrations, observe Wagner, la race a subi un affaiblissement de sa force spirituelle par une conversion graduelle du végétarisme à la consommation de viande, et cette dernière coutume a rendu les peuples occidentaux de plus en plus violents dans leur conduite sociale et historique.

Le christianisme est considéré par Wagner comme une inversion de cette tendance, dans le sens où le Christ recommanda la cohabitation pacifique des peuples se consacrant au développement de leur spiritualité intérieure. Malheureusement, sa connexion intime avec le judaïsme transforma le christianisme originel en une croyance de rapacité et de conquête belliqueuses qui ne reflète pas plus les enseignements du Christ que les exhortations des anciens prophètes israélites à anéantir les ennemis de Jéhovah.

Le récit du progrès des Aryens par Wagner n’est peut-être pas entièrement exact puisqu’on n’a pas la certitude que les Aryens étaient originellement établis en Inde plutôt que dans les régions autour de la Mer Noire, avec les autres branches des Indo-Européens [3].

Il tend aussi à interpréter les particularités des religions zoroastrienne et grecque comme étant dues aux conditions sociologiques dans lesquelles les Iraniens et les Grecs se trouvaient dans l’Antiquité. Par exemple, il explique le dualisme de la religion zoroastrienne comme étant dû au fait que les Aryens qui étaient entrés en Iran en conquérants après être devenus des consommateurs de viande au cours de leur voyage depuis le climat plus doux de l’Inde, « pouvaient encore exprimer leur consternation devant les profondeurs jusqu’où ils étaient tombés » et développèrent ainsi une religion basée sur une vive conscience du « péché », qui imposa une opposition entre « Bien et Mal, Lumière et Obscurité, Ormuzd et Ahriman » [4]. Cela est évidemment faux, puisque toutes les anciennes religions, incluant le zoroastrisme, étaient basées sur une vision cosmologique et ne furent pas développées pour expliquer les conditions historiques d’une nation particulière.

Seul le judaïsme pourrait être expliqué en de tels termes sociologiques, puisqu’il représente une révolte d’un groupe ethnique proche-oriental ancien particulier – les Araméens et les Hébreux – contre la religion cosmologique de leurs voisins de Mésopotamie. Cela est en effet clairement dit dans les passages de [Flavius] Josèphe,Antiquités Juives (I, 157) et de Philon le Juif, De mutatione nominum (72-6), qui révèlent les ambitions matérialistes et nationalistes de l’Hébreu Abraham, qui institua le culte tribal de Jéhovah.

D’après Wagner, la première manifestation d’une reconnaissance de la détérioration de la force raciale parmi les Indo-Européens occidentaux apparut parmi les Pythagoriciens qui fondèrent « des confréries silencieuses … éloignées du tumulte du monde … comme refuges contre le péché et la misère ». L’illustration la plus parfaite du besoin de renoncement au monde, cependant, fut celle offerte par le Christ, qui donna sa chair et son sang « comme ultime et suprême expiation pour tous les péchés du sang versé et de la chair sacrifiée ».

Là aussi, Wagner semble ignorer le fait que le récit chrétien lui-même emprunte fortement aux prototypes babylonien et dionysiaque (Mardouk, Dionysos), dont la mort et la résurrection étaient de simples représentations mythologiques du drame primordial de la force solaire cosmique qui était contrainte de plonger dans le monde souterrain avant de pouvoir revivre dans notre univers sous la forme du soleil [5].

Wagner comprend le récit chrétien d’une manière littérale et affirme que les problèmes du christianisme viennent de l’appropriation de l’administration des rites de la Communion par les prêtres, de sorte que les gens ne parvenaient généralement pas à comprendre l’injonction à l’abstinence de toute chair, injonction contenue dans l’offrande par le Christ de sa chair et de son sang à ses disciples. De plus, l’Eglise en tant qu’institution ne pouvait se maintenir et se propager politiquement qu’en soutenant la violence et les rapines des empereurs qui contribuèrent à la ruine finale de la force intérieure de la race. Dans ces aventures internationales, l’Eglise fut graduellement contrainte de revenir à ses racines judaïques puisque

« …partout où les foules chrétiennes se livraient au pillage et à l’effusion de sang, même sous la bannière de la Croix, ce n’est pas le Crucifié dont le nom était invoqué, mais Moïse, Josué, Gédéon, et tous les autres capitaines de Jéhovah qui combattirent pour le peuple d’Israël, les noms étaient invoqués pour enflammer le cœur des massacreurs ; ce dont l’histoire d’Angleterre à l’époque des guerres puritaines fournit un parfait exemple, mettant en lumière l’évolution de l’Eglise vers l’Ancien Testament. »

Avec l’adoption de cette agression quasi-judaïque, l’Eglise chrétienne commença à agir comme le héraut du judaïsme lui-même qui, bien que caractérisé par un désir fanatique de dominer le monde, avait jusqu’ici été forcé de vivre une vie opprimée parmi les autres nations dans lesquelles il se trouvait durant la Diaspora :

« Méprisé et haï également par toutes les races … sans productivité propre et ne faisant que s’engraisser sur la chute générale, au cours de violentes révolutions ce peuple se serait probablement éteint aussi complètement que les plus grandes et plus nobles souches avant lui ; l’islam en particulier semblait appelé à accomplir l’acte d’extirpation, car il prenait pour lui-même le dieu juif, comme créateur du ciel et de la terre, pour l’élever par le feu et l’épée comme le seul et unique dieu de tout ce qui respire. Mais les Juifs, semble-t-il, purent rejeter toute participation à ce règne mondial de leur Jéhovah, car ils avaient gagné une participation dans un développement de la religion chrétienne bien fait pour la remettre entre leurs mains en temps utile, avec tous ses acquis de culture, de souveraineté et de civilisation. »

En Europe, les Juifs en tant que prêteurs d’argent voyaient toutes les civilisations européennes comme un simple instrument de leur propre montée graduelle vers le pouvoir : « Pour le Juif qui réussit à obtenir la somme, le résultat de cette culture est simplement la nécessité de mener des guerres, et d’en mener en même temps une plus grande – avoir de l’argent en échange » (« Connais-toi toi-même », supplément àReligion et Art). Le pouvoir excessif que les Juifs avaient obtenu en résultat de cette habile procédure, et également dû à leur émancipation au milieu du XIXe siècle, est ainsi basé sur ce que Wagner considère comme la base de toutes les guerres, c’est-à-dire la « propriété ». Internationalement, la protection de la propriété entraîne l’entretien de « la foule armée » et « le succès stupéfiant de nos Juifs résidents dans le gain et l’accumulation d’immenses réserves d’argent a toujours rempli les autorités de notre Etat Militaire de respect et d’une joyeuse admiration ».

Les révolutions socialiste et démocratique organisées en Allemagne étaient aussi des solutions inadéquates aux problèmes résultant de la propriété, puisqu’elles étaient des imitations totalement non-allemandes des révoltes franco-judaïques. En effet, la « démocratie » elle-même est en Allemagne « purement une chose traduite » qui existe seulement dans « la presse » (« Qu’est-ce qui est allemand ? », 1865). La politique de partis n’est rien d’autre qu’un cercle vicieux qui dissimule le véritable conflit entre Allemands et Juifs sous une confusion de noms qui sont eux-mêmes complètement non-allemands, comme « libéral », « conservateur », « social-démocrate », et « libéral-conservateur ». C’est seulement quand le « démon qui pousse ces furieux à poursuivre leurs querelles de partis ne pourra plus trouver un lieu ou un moment pour rôder parmi nous, qu’il n’y aura enfin plus de Juifs ».

Le pire est que les agitateurs juifs utilisèrent des slogans nationalistes allemands comme « germanité » [Deutschtum] et « liberté allemande » pour tromper le peuple allemand et l’encourager à un faux sentiment de supériorité :

« Alors que Goethe et Schiller avaient répandu l’esprit allemand dans le monde sans avoir besoin de parler de l’esprit ‘allemand’, ces spéculateurs démocratiques remplissent chaque librairie et imprimerie, chaque dénommé théâtre par actions, de factices vulgaires et complètement insipides, toujours et encore couvertes de bouffées de ‘deutsch’ et ‘deutsch’, pour appâter la foule insouciante. »

En développant l’esprit allemand, on devrait donc prendre soin d’éviter la tentation de l’autosatisfaction, de croire que chaque Allemand est « entièrement par lui-même … quelque chose de grand et qu’il n’a besoin d’aucun effort pour le devenir d’emblée ». En effet, le fait que

« Goethe et Schiller, Mozart et Beethoven soient sortis de la matrice du peuple allemand bien trop facilement encourage la masse des talents médiocres à considérer les grands esprits comme leur appartenant par droit de naissance, à persuader la masse avec une enflure démagogique qu’ils sont eux-mêmes des Goethe et des Schiller. »

Le remède de Wagner au problème des conflits internationaux basés sur la finance juive, ou plutôt le crédit – qui a de fait remplacé la religion comme « un pouvoir spirituel, et même un pouvoir moral » (« Connais-toi toi-même ») – est le réveil du caractère authentiquement allemand. La preuve de la force raciale des Allemands est la « fierté de race » qui, au Moyen Age, animait les princes, les rois et les empereurs dans toute l’Europe et qu’on peut encore rencontrer dans la vieille noblesse d’origine germanique. Un signe évident de ce qui est vraiment allemand est la langue elle-même :

« Sentons-nous notre souffle nous quitter rapidement sous la pression d’une civilisation étrangère ; tombons-nous dans l’incertitude envers nous-mêmes : il nous suffit de creuser jusqu’aux racines dans le vrai sol paternel de notre langue pour trouver immédiatement une réponse rassurante sur nous-mêmes, et même sur ce qui est vraiment humain. Et cette possibilité de toujours tirer de la source originelle de notre propre nature qui nous fait sous sentir non plus une race, non plus une simple variété humaine, mais l’une des branches primordiales de l’humain – c’est cela qui nous a toujours fourni des grands hommes et des héros spirituels. » [6]

Cette force de caractère est en effet la seule défense que les Allemands ont contre les ruses de la race juive, qui réussit facilement à préserver son propre caractère racial grâce à la nature unique de sa « religion », qui n’est en fait pas du tout une religion mais « simplement la croyance en certaines promesses [du dieu juif], qui ne concernent aucunement une vie au-delà de sa vie temporelle …, comme dans toute vraie religion, mais simplement cette présente vie  sur terre, où, il est vrai, sa race est assurée de dominer toute chose animée et inanimée ». Cette ambition inhumaine du Juif est incarnée dans le Parsifal de Wagner par le personnage de Klingsor, qui se coupe de tout amour humain en se castrant afin d’acquérir du pouvoir sur les autres. Comme le dit Wagner, piégé dans « un instinct fermé à toute idéalité », le Juif demeure toujours « le démon plastique de la décadence humaine ».

La libération vis-à-vis des limitations du judaïsme ne peut commencer que par un effort pour comprendre la nature de la répugnance instinctive que l’on ressent envers l’« essence primordiale » du Juif, en dépit de son émancipation : « malgré tous nos discours et écrits en faveur de l’émancipation des Juifs, nous avons toujours une répugnance instinctive pour toute vraie conduite opérative avec eux ». A la différence du vrai poète, qui tire son inspiration « seulement d’une fidèle et aimante contemplation de la vie instinctive, de cette vie qui salue son reflet parmi le Peuple », le Juif éduqué se trouve « étranger et apathique … au milieu d’une société qu’il ne comprend pas, dont il ne partage pas les goûts et les aspirations, dont l’histoire et l’évolution lui ont toujours été indifférentes » (Le judaïsme dans la musique, 1850).

Le Juif « ne se trouve en accord qu’avec ceux qui ont besoin de son argent : et jamais encore l’argent n’a prospéré au point de tricoter un bon lien ‘entre l’homme et l’homme’ ». Ainsi le Juif ne considère les œuvres d’art que comme des objets à vendre et à acheter : « Ce que les héros des arts, par un effort indicible consumant leur vie entière, ont arraché à la lutte artistique de deux millénaires de misère, aujourd’hui le Juif le transforme en un bazar de l’art ». Tolérer les Juifs dans la société allemande signifierait donc le remplacement de l’authentique culture allemande par un simulacre.

Dans l’Appendice au Judaïsme dans la musique publié en 1869, Wagner ajoute : « Si la chute de notre culture peut être arrêtée par une expulsion violente de l’élément étranger destructeur, je suis incapable de le dire, car il faudrait pour cela des forces dont l’existence m’est inconnue ». Et toutes les tentatives pour assimiler les Juifs dans la société allemande devraient prendre soin d’évaluer pleinement les vraies difficultés d’une telle assimilation, avant que des mesures soient prises pour tenter de la réaliser.

Pour ceux qui pourraient penser que Wagner n’est qu’un Hitler déguisé en mouton, il pourrait être surprenant qu’il était en fait un chrétien profondément philosophique, dont le christianisme était imprégné de l’esprit de la philosophie de Schopenhauer, qu’il lut pour la première fois en 1852 [7]. La première exigence pour un vrai chrétien, d’après Wagner, est de séparer sa conception du Christ du Jéhovah des Juifs. En effet, si Jésus est proclamé fils de Jéhovah, « alors n’importe quel rabbin juif peut triomphalement réfuter toute la théologie chrétienne, comme cela s’est en effet produit à toutes les époques » (« Public et Popularité »,  1878). Il n’est donc pas surprenant que la plus grande partie de la population soit devenue athée :

« Que le Dieu de notre Sauveur ait été identifié au dieu tribal d’Israël est l’une des plus terribles confusions de toute l’histoire mondiale … Nous avons vu le Dieu chrétien condamné à des églises vides pendant que des temples toujours plus imposants sont élevés parmi nous à Jéhovah. »

La raison pour laquelle les Juifs demeurent juifs, le peuple de Jéhovah, en dépit de tout changement, est que, comme nous l’avons noté plus haut, le judaïsme n’est pas une religion mais une ambition politique financière.

Le christianisme schopenhauerien de Wagner, d’autre part, exige la reconnaissance de la « signification morale du monde », la reconnaissance de la racine de toute la souffrance humaine, c’est-à-dire la volonté et ses passions concomitantes. « Seul l’amour qui jaillit de la pitié, et qui porte sa compassion jusqu’à la rupture la plus extrême de la volonté propre, est l’Amour chrétien rédempteur, dans lequel Foi et Espoir sont tous deux inclus d’emblée » (« Qu’est-ce qui stimule cette Connaissance ? », supplément à Religion et Art, 1880). Là encore Wagner revient à la constitution naturelle des Indo-Européens, qui seuls possèdent « la faculté de souffrance consciente » sous une forme hautement développée.

Dans un autre supplément à Religion et Art, « Héroïsme et christianisme » (1881), Wagner affirme que la supériorité de la race blanche est prouvée par le fait même que si « les races jaunes se sont vues comme issues des singes, les Blancs retracèrent leur origine jusqu’aux dieux, et se jugèrent marqués pour la domination ». Bien que Wagner croyait que la substitution de nourriture animale à la place de nourriture végétale fut l’une des principales causes de la dégénérescence de l’homme (« un changement dans la substance fondamentale de notre corps »), sa lecture de l’Essaide Gobineau le conduisit à considérer le mélange racial, particulièrement avec les Juifs, comme une autre cause de la corruption du sang :

« On pourrait certainement attribuer cette lourdeur d’esprit de notre esprit public à une corruption de notre sang – non seulement par l’abandon de la nourriture naturelle de l’homme, mais avant tout par la corruption du sang héroïque des plus nobles races par celui d’anciens cannibales aujourd’hui instruits pour être les agents commerciaux de la Société. »

Bien que la constitution psychique hautement développée des Indo-Européens soit leur trait distinctif, l’excellence du Christ en tant qu’individu est due au fait que lui seul représente « la quintessence de la souffrance volontaire elle-même, cette Pitié divine qui parcourt toutes les espèces humaines, sa source et origine ». Wagner se demande même si le Christ pourrait vraiment avoir appartenu à la race blanche, puisque le sang de celle-ci était en train de « pâlir et de se figer ». Hésitant sur la réponse, Wagner continue en suggérant que le sang du Rédempteur pourrait avoir été « le sublimé divin de l’espèce elle-même » jaillissant de « l’effort suprême de la Volonté rédemptrice pour sauver l’humanité à l’agonie dans ses plus nobles races ». Nous reconnaissons dans cette déclaration le message du dernier et du plus intensément religieux drame musical de Wagner, Parsifal.

Cependant, Wagner prend également soin de souligner que bien que le sang du Sauveur ait été versé pour rédimer toute l’humanité, celle-ci n’est pas pour autant destinée à atteindre une égalité universelle, puisque les différences raciales persisteront. Et si le système de domination du monde par la race blanche fut marqué par l’exploitation immorale, l’unification de l’humanité ne peut être accomplie que par « une concorde morale universelle, telle que nous ne voyons que le vrai christianisme qui soit capable de l’accomplir ».

En plus de ces aperçus dans la grâce rédemptrice du Christ qu’on peut trouver dans son essai de 1881, Wagner avait déjà exposé l’éthique de sa propre version du christianisme antérieurement, dans son ébauche de 1849 de son projet d’opéra « Jésus de Nazareth ». D’après ce travail, la première solution au problème du mal dans le monde avait été l’institution de la Loi. Cependant, cette Loi statique, lorsqu’elle était incorporée à l’Etat, se trouvait en opposition avec le rythme toujours changeant de la Nature, et l’homme entrait invariablement en conflit avec la Loi artificielle. Les fautes de la Loi étaient en fait principalement dues à l’égoïsme originel de l’homme, qui cherchait à protéger ses biens personnels, incluant sa femme et sa famille, par des lois faites par l’homme. Wagner, d’une manière proudhonienne [8], rejette ces lois et souligne que l’Amour est la base de toutes les relations familiales aussi bien que sociales.

L’homme ne peut atteindre l’unité avec Dieu que par l’unité avec la Nature et cette unité n’est possible que par le remplacement de la Loi par l’Amour. En exposant sa version de la doctrine chrétienne de l’Amour, Wagner a recours à une théorie quasiment schopenhauerienne de la Volonté et de sa recherche égoïste :

« …le processus consistant à éteindre mon Moi en faveur de l’universel est de l’Amour, est la Vie active elle-même ; la vie non-active, dans laquelle je reste fidèle à moi-même, est de l’égoïsme. Ce devenir conscient de nous-mêmes par l’abnégation de soi aboutit à une vie créative, parce qu’en abandonnant notre moi nous enrichissons la généralité, ainsi que nous-mêmes. »

L’opposé, ou « non-devenir conscient de nous-mêmes dans l’universel, apporte le péché ». Un égoïste qui ne donne rien à l’universel sera en fin de compte dépouillé de tout par ce dernier contre sa volonté, et il mourra sans se retrouver dans l’universel.

Dans ce contexte, Wagner prend le temps d’identifier la nature des femmes et des enfants comme étant essentiellement égoïste. Une femme ne peut se débarrasser de son égoïsme naturel que par l’enfantement et l’amour accordé à ses enfants. Ainsi la femme ne peut trouver le salut que par son amour pour un homme, bien qu’un homme aussi soit enrichi par son amour pour une femme puisque c’est l’acte altruiste le plus essentiel dont il soit capable. En fait, pour un homme, l’acte sexuel lui-même entraîne la perte de sa substance de vie.

Au-delà de cet amour pour une femme, cependant, un homme peut aussi dissiper son ego par l’amour d’une association plus grande que ce qui est simplement personnel et sexuel. C’est l’amour pour sa propre patrie, qui pousse les hommes à sacrifier leur vie pour le « bien de la communauté ».

Cependant, le Christ indiqua une voie encore supérieure au sacrifice de soi patriotique, et c’est le fait de se sacrifier pour l’humanité entière. Chaque sacrifice est en même temps un acte créatif, celui de l’amour sexuel aussi bien que celui de l’amour patriotique, puisque le premier aboutit à la multiplication de soi-même dans les enfants et le second à la préservation des nombreuses vies qui constituent une nation. Le sacrifice de soi pour toute l’humanité, cependant, est la plus complète « séparation d’avec le cercueil vide de cette force générative, et donc une dernière création en soi, pour supprimer tout égoïsme improductif, faire place à la vie ». Une telle mort est le « plus parfait acte d’amour ». Wagner identifie donc la transfiguration accomplie par la mort comme étant le « pouvoir fascinant du mythe chrétien » (Opéra et drame, 1850). Mais nous pouvons remarquer que cela est également la signification de toute tragédie classique, et que Wagner interprétait simplement le récit chrétien en termes indo-européens traditionnels.

Bien que la rédemption qu’on atteint par l’autosacrifice soit une rédemption personnelle, Wagner avait aussi examiné le gouvernement des nations du point de vue de l’éthique schopenhauerienne. Dans son essai « Sur l’Etat et la Religion » (1864-65), dédicacé à son protecteur Louis II de Bavière, Wagner exposa son idéal politico-religieux du roi-philosophe en utilisant les catégories du système philosophique de Schopenhauer. Il commence par reconnaître la stupidité de sa participation antérieure aux révolutions socialistes de 1848 et reconnaît l’Etat comme étant le garant de la stabilité de la nation. Cependant, l’Etat est le plus authentiquement et pleinement représenté non par les gouvernements démocratiques constitutionnels ou socialistes mais plutôt par le monarque. Car le monarque

« …n’a rien en commun avec les intérêts des partis, mais son unique souci est que le conflit de ces intérêts soit résolu précisément pour la sécurité de l’ensemble … Ainsi, étant contre les intérêts des partis, il est le représentant des intérêts purement humains, et aux yeux du citoyen à la recherche d’un parti il occupe donc véritablement une position presque surhumaine. »

Dans le monarque l’idéal de l’Etat est donc finalement accompli, un idéal qui n’est ni perçu ni cultivé par l’intelligence égoïste mais seulement par le « Wahn » supra-égoïste, ou « vision » irrationnelle. Wagner associe ce Wahn à l’« esprit de la race » et de l’espèce que Schopenhauer avait indiqué dans son analyse du comportement de groupe des insectes, comme les abeilles et les fourmis, qui bâtissent des sociétés avec un souci apparemment inconscient pour le bien-être de l’ensemble sans se soucier des individus qui le composent. Dans les sociétés humaines cet instinct altruiste se manifeste en effet sous la forme du patriotisme. Néanmoins, le sacrifice de soi que le patriotisme exige est souvent si ardu qu’il ne peut pas être soutenu indéfiniment et qu’il peut aussi très bien être contaminé par l’égoïsme naturel de l’individu, qui peut aussi ne voir dans l’Etat qu’une sauvegarde de ses propres intérêts avec ceux de ses compatriotes. Afin de soutenir le Wahn patriotique, un symbole durable est donc requis et ce symbole est en effet le monarque.

Un monarque n’a « pas de choix personnel, ne peut s’autoriser aucun de ses penchants purement humains, et doit pouvoir assumer une grande position pour laquelle seules des grandes parts naturelles peuvent convenir ». Si sa vision de son propre devoir patriotique est marquée par l’ambition et la passion, il sera un guerrier et un conquérant. D’un autre coté, s’il a une âme noble et compassionnelle par nature, il comprendra que le patriotisme lui-même est inadéquat pour le but de satisfaire les plus hautes aspirations de l’humanité qui requièrent en effet le véhicule non pas de l’Etat mais celui de la religion. Le patriotisme ne peut pas être le but politique humain final, puisqu’il se transforme trop facilement en violence et en injustice contre d’autres Etats.

L’instrument particulier par lequel le Wahn patriotique est déformé en conflit international est la dénommée « opinion publique » qui est créée et maintenue par la presse. A la différence du roi, qui est le représentant authentiquement désintéressé du bien-être de l’Etat, l’opinion publique créée par la presse est une parodie du roi parce qu’elle encourage le patriotisme par la flatterie de « l’égoïsme vulgaire de la masse ». La presse est donc « le plus implacable tyran », dont le despotisme est spécialement dirigé contre le roi, qui se soucie de « considérations purement humaines se tenant bien au-dessus du simple patriotisme ». C’est donc « dans les fortunes et le sort des rois, que le sens tragique du monde peut d’abord être porté complètement à notre connaissance ».

Puisque la justice parfaite ne pourra jamais être atteignable dans ce monde, la personne religieuse trouve naturellement que le Wahn patriotique est inadéquat et suit alors une voie religieuse et divine qui lui demande une « souffrance et un renoncement volontaire » à tout ce monde auquel s’accroche l’homme égoïste. Le bonheur intérieur, ou révélation, qui remplit un homme (ou un « saint ») entreprenant un tel renoncement ne peut pas être transmis aux gens ordinaires sauf par des dogmes religieux et par l’entretien d’une foi « sincère, indubitable et inconditionnelle ». La vraie religion n’est préservée que dans l’individu qui perçoit au-delà de la diversité de la perception des sens « l’unité fondamentale de l’Etre ». Cette vision béatifique intérieure ne peut pas être transmise aux hommes ordinaires par les exhortations d’un vain clergé mais seulement par l’exemple édifiant de figures saintes :

« C’est pourquoi se trouve ici un sens profond et fécond derrière l’action de la personne qui s’adresse à Dieu par l’intermédiaire des saints chers à son cœur ; et ce n’est pas à l’honneur des lumières tant vantées de notre époque que n’importe quel boutiquier anglais par exemple, dès qu’il a revêtu son costume du dimanche et pris le bon livre avec lui, est d’avis qu’il entre en relation personnelle immédiate avec Dieu. »

Dès que la religion se tourna vers l’Etat pour son maintien et sa propagation, elle aussi fut obligée de devenir une institution de l’Etat et de servir la justice imparfaite de l’Etat. D’où les conflits religieux répugnants qui ont marqué la conduite politique des nations modernes.

Puisque la vraie religiosité ne peut jamais être communiquée par la disputation religieuse ou même par la sophistique philosophique, seul le roi peut, s’il est pourvu d’une nature spirituelle particulièrement élevée, ou Wahn, unir les deux domaines essentiellement différents de l’Etat et de la religion en un tout harmonieux. La marque d’un esprit vraiment noble est que « pour lui tout incident de la vie et des relations humaines, souvent même le plus apparemment trivial, est capable d’exhiber rapidement sa plus large corrélation avec la racine essentielle de toute l’existence, donc de montrer la vie et le monde eux-mêmes dans leur signification vraie et terriblement pressante ». Et seule la « situation élevée, presque surhumaine » du roi lui donne aussi le point de vue supérieur qui lui permet de voir la tragédie des « passions mondaines » et lui accorde la « grâce » qui marque l’exercice de la parfaite équité.

Nous voyons donc que les idéaux philosophiques de Wagner font revivre les idéaux platoniciens, schopenhaueriens et proudhoniens dans un message d’Amour chrétien qui est aussi élevé que sa musique. A ceux qui critiquent aujourd’hui le christianisme comme étant une religion monothéiste judaïque qui devrait être abjurée en faveur de renouveaux néo-païens nébuleux, les écrits de Wagner révèlent la vraie vertu indo-européenne d’une religion qui était certainement indo-européenne à son origine et qui a, lorsqu’elle est séparée de son immersion ultérieure dans l’histoire du peuple juif, continué à posséder une profonde valeur spirituelle pour l’élévation de l’humanité. Quant aux critiques de Wagner contre les Juifs pour leur domination des Etats par le crédit et leur dégradation de la populace par la presse, ces critiques sont en fait devenues plus convaincantes aujourd’hui qu’elles devaient l’être à son époque, puisque les formes juives du « socialisme » et du « communisme » et de la « démocratie » qui ont dominé l’époque de l’après-guerre ont en effet réussi à dépouiller le monde non seulement de la monarchie mais aussi de toute vraie philosophie et de toute vraie religion.

Notes

  1. Diary of Richard Wagner 1865–1888: The Brown Book, ed. J. Bergfeld, tr. G. Bird (London: Gollancz, 1980), p. 73.
  2. D’après le livre de M. Boucher Les idées politiques de Richard Wagner (Paris: Aubier, 1947), les études récentes de la pensée politique de Wagner incluent E. Eugène, Les idées politiques de Richard Wagner et leur influence sur l’idéologie allemande (1870–1845) (Paris: Les Publications Universitaires, 1978), F. B. Josserand, Richard Wagner: Patriot and Politician (Washington, D.C.: University Press of America, 1981), A. D. Aberbach, The Ideas of Richard Wagner: An Examination and Analysis of his Major Aesthetic, Political, Economic, Social and Religious Thought (Washington, D.C.: University Press of America, 1984). P. L. Rose, Wagner: Race and Revolution (London: Faber, 1992), et H. Salmi, Imagined Germany: Richard Wagner’s National Utopia (New York: Peter Lang, 1999).
  3. Voir A. Jacob, Ātman: A Reconstruction of the Solar Cosmology of the Indo-Europeans (Hildesheim: G. Olms, 2005), « Introduction – Historique ». Je distingue les Aryens comme une branche des Indo-Européens, les Japhétiques, alors que la souche indo-européenne générique inclut également les Sémites et les Chamites.
  4. Toutes les traductions de Wagner [en anglais] proviennent de W. A. Ellis, Richard Wagner’s Prose Works (London, 1897).
  5. Voir A. Jacob, op. cit.
  6. L’accent mis par Wagner sur la langue comme expression essentielle de l’esprit racial-national est emprunté à Fichte, Reden an die deutsche Nation [Discours à la nation allemande] (1807).
  7. Voir M. Boucher, op. cit., p. 18. Le livre de Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorstellung [Le monde comme volonté et représentation] fut originellement publié en 1818.
  8. Pour les diverses similarités entre la philosophie de Proudhon et celle de Wagner, spécialement leur vénération du Christ, leur dénonciation des Juifs, et leur socialisme anticommuniste basé sur le génie du « peuple», voir M. Boucher, op. cit., p. 160ff). La répugnance de Proudhon pour le communisme est évidente dans sa description de ce système comme étant « l’exaltation de l’Etat, la glorification de la police » (ibid., p. 161).