Réflexions sur le livre de Carl Schmitt, Le concept du Politique
Greg Johnson2,468 words
English original here
« Pouvons-nous tous nous entendre ? »
— Rodney King
Le petit livre de Carl Schmitt, Le concept du Politique (1932), est l’un des plus importants ouvrages de philosophie politique du XXe siècle [1].
Le but du Concept du Politique est de défendre la politique des aspirations utopiques à abolir la politique. L’utopisme antipolitique inclut toutes les formes de libéralisme ainsi que le socialisme international, le capitalisme global, l’anarchisme et le pacifisme : bref, toutes les philosophies sociales qui visent à un ordre universel où le conflit serait aboli.
Dans le discours ordinaire, bien sûr, le libéralisme, le socialisme international, etc. sont des mouvements politiques, pas des mouvements antipolitiques. Il est donc clair que Schmitt utilise le mot de « politique » d’une manière particulière. Pour Schmitt, le politique est fondé sur la distinction entre ami et ennemi. L’utopisme est antipolitique dans la mesure où il tente d’abolir cette distinction, de supprimer toute hostilité et tout conflit dans le monde.
La défense du politique par Schmitt n’est pas une défense de l’hostilité et du conflit en tant que tels. Schmitt reconnaît pleinement leur destructivité et la nécessité de les maîtriser et de les atténuer. Mais Schmitt pense que la meilleure manière de contrôler l’hostilité est d’adopter une compréhension réaliste de sa nature. Schmitt ne défend donc pas le conflit, mais le réalisme concernant le conflit. En effet, Schmitt pense que la meilleure manière de contenir le conflit est d’abord d’abandonner toutes les idées irréalistes selon lesquelles on pourrait le supprimer entièrement.
De plus, Schmitt pense que les tentatives utopiques pour abolir complètement le conflit accroissent en fait son ampleur et son intensité. Il n’y a pas de guerre d’ampleur plus universelle et de nature plus fanatique que les guerres se donnant pour but de mettre fin à toutes les guerres et d’établir la paix perpétuelle.
Nous et eux
Que signifie la distinction entre ami et ennemi ?
Premièrement, pour Schmitt, la distinction entre ami et ennemi est collective. Il parle de « nous contre eux », pas d’« un individu contre un autre ».
Schmitt expose la distinction latine entre hostis (un ennemi collectif ou public, la racine du mot « hostile ») et inimicus (un adversaire individuel et privé, la racine du mot « inimitié »). Le politique est fondé sur la distinction entre ami (ceux qui sont dans notre camp) et hostis (ceux de l’autre camp). Les adversaires privés ne sont pas des ennemis publics.
Deuxièmement, la distinction entre ami et ennemi est polémique. La distinction ami/ennemi est toujours liée au potentiel constant de violence. Il n’est pas nécessaire de combattre réellement son ennemi, mais le potentiel doit toujours être là. Le but unique de la politique n’est pas le conflit de groupe ; le contenu unique de la politique n’est pas le conflit de groupe ; c’est la possibilité constante du conflit de groupe qui crée la dimension politique de l’existence sociale humaine.
Troisièmement, la distinction entre ami et ennemi est existentiellement grave. Le conflit violent est plus grave que d’autres formes de conflit, parce que quand les choses deviennent violentes des gens meurent.
Quatrièmement, la distinction entre ami et ennemi n’est pas réductible à une autre distinction. Par exemple, elle n’est pas réductible à la distinction entre bien et mal. Les « bons » sont tout autant des ennemis pour les « méchants » que ces derniers le sont pour les premiers. L’hostilité est relative, mais la moralité – nous l’espérons – ne l’est pas.
Cinquièmement, bien que la distinction ami/ennemi ne soit pas réductible à d’autres distinctions et différences – religieuses, économiques, philosophiques, etc., – toutes les différences peuvent devenir politiques si elles génèrent l’opposition ami/ennemi.
En résumé, la racine ultime du politique est la capacité des groupes humains à prendre leurs différences au sérieux, au point d’être prêts à tuer ou mourir pour elles.
Il est important de noter que le concept schmittien du politique ne s’applique pas à la politique intérieure ordinaire. Les rivalités des politiciens et des partis, à condition qu’elles restent dans des paramètres légaux, ne constituent pas l’hostilité au sens de Schmitt. L’idée schmittienne de la politique s’applique surtout aux relations étrangères – les relations entre Etats souverains et peuples –, plutôt qu’aux relations intérieures dans une société. Le seul moment où les relations intérieures deviennent politiques au sens de Schmitt est durant une révolution ou une guerre civile.
Souveraineté
Si le politique naît de la possibilité constante de vie collective ou de conflit mortel, le politique règne sur tous les autres domaines de la vie sociale à cause de sa gravité existentielle, par le fait qu’il a recours à la sanction ultime.
Pour Schmitt, la souveraineté politique est le pouvoir de déterminer l’ennemi et de déclarer la guerre. Le souverain est la personne qui prend cette décision.
Si un souverain désigne un ennemi, et que des individus ou des groupes à l’intérieur de sa société rejettent cette déclaration, la société est dans un état de guerre civile ou de révolution non-déclaré. Refuser le choix d’un ennemi par le souverain, c’est s’éloigner de l’acte souverain du choix de ses ennemis. L’analyse de Schmitt rejoint donc le dicton qui dit : « La guerre, c’est quand le gouvernement vous dit qui sont les méchants. La révolution, c’est quand vous décidez cela par vous-même ».
Paralleles philosophiques
La racine du politique telle que Schmitt la comprend est ce que Platon et Aristote appellent « thumos », la partie médiane de l’âme qui n’est ni la raison théorique ni le désir physique, mais qui est plutôt la capacité à l’attachement passionné. Le thumos est la racine du politique parce qu’il est la source des attachements (1) aux groupes, et la politique est collective, et (2) aux valeurs transcendant et niant la vie, c’est-à-dire les choses pour lesquelles on peut légitimement tuer et mourir, comme la défense de l’honneur personnel ou collectif, de sa culture ou de son mode de vie, les convictions religieuses et philosophiques, etc. De telles valeurs rendent possible le conflit mortel entre des groupes.
L’abolition du politique, par conséquent, requiert l’abolition de la capacité humaine aux attachements vitaux et mortels passionnés, existentiellement graves. L’homme apolitique est donc l’homme apathique, l’homme qui est dépourvu de dévouement et d’intensité. Il est ce que Nietzsche appelait « le dernier homme », l’homme pour qui il n’existe rien de supérieur à lui-même, rien qui puisse exiger qu’il risque la continuation de son existence physique. L’utopie apolitique est un « élevage de poulets désossés » de producteurs-consommateurs dopés, ahuris et égocentriques.
L’idée schmittienne du politique est cohérente avec l’idée hégélienne de l’histoire. Pour Hegel, l’histoire est l’enregistrement de combats individuels et collectifs à mort, pour des images ou des interprétations de ce que nous sommes. Ces interprétations forment le domaine entier de la culture : les visions du monde et les modes de vie qui sont leurs manifestations concrètes.
Il y a, bien sûr, de nombreuses interprétations concernant ce que nous sommes. Mais il n’y a qu’une seule vérité, et selon Hegel la vérité est que l’homme est libre. De même que la dialectique philosophique passe par une pluralité de points de vue opposés pour parvenir à la seule vérité, la dialectique de l’histoire est une guerre de visions du monde et de modes de vie opposés qui prendra fin quand la vision du monde correcte et le mode de vie correct seront établis. Le concept de liberté humaine doit devenir concrètement réalisé dans un mode de vie qui reconnaisse la liberté. Alors l’histoire telle que Hegel la comprend – et la politique telle que Schmitt la comprend – prendra fin.
L’idée hégélienne de l’état post-historique idéal est très proche de tout ce qu’un fasciste du XXe siècle (ou du XXIe) pourrait désirer. Mais des interprètes ultérieurs de Hegel comme Alexandre Kojève et son adepte Francis Fukuyama interprètent la fin de l’histoire comme un « état homogène universel » qui ressemble beaucoup à l’utopisme mondialiste que Schmitt voulait combattre.
Pourquoi le politique ne peut pas être aboli
Si le politique est enraciné dans la nature humaine, alors il ne peut pas être aboli. Même si toute la planète pouvait être transformée en un enclos de poulets désossés, il suffirait de deux fortes têtes pour que la politique – et l’histoire – recommencent aussitôt.
Mais les utopistes n’accepteront jamais cela. La politique ne peut pas être abolie par des déclarations universelles de paix, d’amour et de tolérance, car ces tentatives de transcender la politique ne font en fait que la rétablir sur un autre plan. Après tout, les partisans de la paix et de l’amour utopiques ont aussi des ennemis, c’est-à-dire des « sales types » comme nous.
L’abolition de la politique n’est donc en fait que l’abolition de l’honnêteté concernant la politique. Mais la malhonnêteté est le moindre des vices utopiques. Car au nom de la paix et de l’amour, les partisans de l’utopie nous persécutent avec un fanatisme et une destructivité voulue à coté desquels la bonne vieille guerre semble saine en comparaison.
Deux peuples occupant des vallées adjacentes peuvent, pour des raisons stratégiques, convoiter les hauteurs situées entre eux. Cela peut conduire à un conflit. Mais de tels conflits ont des buts finis et définissables. Ils tendent donc à être limités en ampleur et en durée. Et puisque c’est un simple conflit d’intérêt – où les deux camps, en fait, ont raison – et non une croisade morale ou religieuse entre bien et mal, lumière et obscurité, en fin de compte les deux camps peuvent conclure un accord pour cesser les hostilités.
Mais quand la guerre est associée à un utopisme universaliste – communisme mondial ou démocratie mondiale, la lutte contre la « terreur », ou, d’une manière encore plus risible, contre le « mal » –, elle devient universelle dans son ampleur et sans fin dans sa durée. Elle est universelle, parce qu’elle propose de représenter la totalité de l’humanité. Elle est sans fin, bien sûr, parce que c’est une guerre contre la nature humaine elle-même.
De plus, quand la guerre est déclarée au nom de l’« humanité », sa mise en œuvre devient maximalement inhumaine, puisque tout est permis contre les ennemis de l’humanité, qui ne méritent rien d’autre que la capitulation sans conditions ou l’annihilation, puisqu’on ne peut pas conclure un accord avec le mal incarné. Le chemin de Dresde, d’Hiroshima et de Nagasaki était pavé d’amour : d’amour universaliste, utopique, humaniste et libéral.
Libéralisme
Le libéralisme tente de réduire la distinction ami/ennemi à des divergences d’opinion ou d’intérêts économiques. L’utopie libérale est une utopie où tous les conflits peuvent être résolus pacifiquement par le raisonnement ou le marchandage. Mais l’opposition entre le libéralisme et l’antilibéralisme ne peut pas être résolue par des moyens libéraux. Elle est forcément politique. L’antipolitique libérale ne peut donc pas triompher sans l’élimination politique de l’antilibéralisme.
L’abolition du politique requiert l’abolition de toutes les différences, pour qu’il n’y ait plus aucun motif de combat, ou l’abolition de toute gravité, pour que les différences ne comptent plus. L’abolition de la différence est accomplie par la violence et par l’assimilation culturelle. L’abolition de la gravité est accomplie par la promotion de l’apathie spirituelle au moyen du consumérisme et de l’endoctrinement par le relativisme, l’individualisme, la tolérance, et le culte de la diversité – le multi-culte.
La violence, bien sûr, est généralement associée à des formes franchement totalitaires d’utopisme antipolitique comme le communisme, mais la Seconde Guerre mondiale montre que les universalistes libéraux sont tout aussi capables de violence que les communistes. Ils sont seulement moins capables d’honnêteté.
Le libéralisme, cependant, préfère généralement nous tuer en douceur. La vieille version du libéralisme préfère la dissolution douce des différences au moyen de l’assimilation culturelle, mais cette préférence fut inversée quand la minorité juive inassimilable parvint au pouvoir aux Etats-Unis, époque à laquelle le multiculturalisme et la diversité devinrent les mots d’ordre, et les conflits potentiels entre des groupes différents devaient être gérés au moyen de la corruption spirituelle. Les libéraux d’aujourd’hui ont transformé en fétiche la préservation du pluralisme et de la diversité, tant que rien de tout cela n’est pris au sérieux.
L’utopisme multiculturaliste est condamné, parce que le multiculturalisme s’entend très bien à accroître la diversité, mais, à long terme, il ne pourra pas maîtriser les conflits qui l’accompagnent.
On ne peut pas compter sur la drogue du consumérisme, parce que les crises économiques ne peuvent pas être éliminées. De plus, il y a des limites écologiques absolues à la mondialisation du consumérisme.
Quant aux drogues du relativisme, de l’individualisme, de la tolérance, et du multi-culte : seuls les Blancs sont sensibles à leurs effets, et puisque ces idées désavantagent systématiquement les Blancs dans la compétition ethnique, en fin de compte les Blancs qui les acceptent seront détruits (ce qui est effectivement le but) et les Blancs qui les rejettent survivront. Ensuite les Blancs commenceront à prendre parti pour leur propre camp, la compétition ethnique deviendra politique, et d’une manière ou d’une autre, des Etats racialement et ethniquement homogènes émergeront.
Leçons por les Nationalistes Blancs
Devenir un Nationaliste Blanc, c’est choisir ses amis et ses ennemis par soi-même. Choisir de nouveaux amis signifie choisir une nouvelle nation. Notre nation est notre race. Nos ennemis sont les ennemis de notre race, quelle que soit la race à laquelle ils appartiennent. En choisissant leurs amis et leurs ennemis par eux-mêmes, les Nationalistes Blancs se sont constitués en peuple souverain – un peuple souverain qui n’a pas encore de patrie souveraine – et ont rejeté la souveraineté de ceux qui nous gouvernent. Cela nous place dans une position implicitement révolutionnaire vis-à-vis de tous les régimes existants.
Les conservateurs parmi nous ne le voient pas encore. Ils souhaitent encore s’accrocher au cadavre de l’Amérique et téter sa mamelle empoisonnée. Mais l’ennemi nous comprend mieux que certains d’entre nous ne le comprennent eux-mêmes. Nous pouvons souhaiter ne pas choisir un ennemi, mais parfois c’est l’ennemi qui nous choisit. Ceux qui veulent rester dans le courant majoritaire [« mainstreamers »] se verront refuser l’entrée [dans le Parti Républicain] et seront obligés de choisir entre l’abandon du Nationalisme Blanc et l’acceptation explicite de son destin révolutionnaire.
Il est peut-être trop tard pour la politique conventionnelle [= à l’intérieur du Parti Républicain], mais il est encore trop tôt pour une politique nationaliste blanche. Nous n’avons simplement pas le pouvoir de gagner un combat politique. Nous manquons d’effectifs, d’argent, et de dirigeants. Mais le système actuel, comme toutes les choses vieilles et dissolues, passera. Et notre communauté, comme toutes les choses jeunes et saines, grandira en taille et en force. Donc aujourd’hui notre tâche est métapolitique : accroître la conscience et cultiver la communauté dont notre royaume – ou notre république – sortira.
Quand ce jour viendra, Carl Schmitt sera compté parmi nos Pères Fondateurs spirituels.
Note
[1] Carl Schmitt, The Concept of the Political, trad. George Schwab (Chicago: University of Chicago Press, 2007).
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