L’importance du rituel

odin745 [1]2,533 words

English original here [2]

La culture vient du culte, et sans le culte, nous ne faisons que nous illusionner. Les traditionalistes radicaux sont d’excellents critiques. Ils peuvent analyser l’effondrement d’une civilisation. Ils peuvent souligner les prémisses erronées qui ont conduit au désert de la modernité. Ils peuvent découvrir dans les plus petites expressions de la culture populaire ou du vocabulaire contemporain la pourriture égalitaire qui empoisonne même les plus petites relations sociales.

Cependant le criticisme est seulement un moyen. L’objectif n’est pas seulement de déplorer le Kali Yuga mais de restaurer – ou si c’est impossible, de créer – une société organique qui puisse faciliter le développement ascendant de la race [3]. Cela requiert quelque chose au-delà de l’intellect, du criticisme et de la raison. Cela requiert de poser la fondation d’un nouvel ordre de société qui puisse englober tous ceux qui sont nécessaires pour la faire fonctionner. Cela signifie tisser une tapisserie de sens et d’expérience qui puisse unir le travailleur au philosophe et surmonter les différences de classe, d’éducation et de fortune par un contexte culturel partagé. Cela signifie religion. Pour le dire plus précisément, cela signifie un culte.

Le néo-paganisme aujourd’hui est largement un exercice intellectuel, ce que Collin Cleary a appelé [4] « paganisme sans dieux ». On pourrait soutenir que cela est vrai depuis les jours de Julien l’Apostat, quand l’empereur tenta vainement de faire revivre les anciens dieux par la polémique, la répression contre le christianisme, et le sacrifice animal. Même à la fin de l’Empire romain, le paganisme était un choix esthétique, le signe d’une rébellion culturelle contre le christianisme, plutôt qu’une « foi » vitale qui aurait eu la puissance de la croyance littérale derrière elle. En dépit du mépris cinglant d’un Galien [5] ou du criticisme tranchant de l’empereur Julien, le christianisme finirait par absorber l’Empire romain et le dernier païen à porter la pourpre crierait lugubrement : « Tu as vaincu, Galiléen ».

Le païen contemporain vit dans un monde d’incroyance et est lui-même un produit de cette incroyance, s’étant très probablement rebellé contre le christianisme de ses pères et de ses grands-pères. La raison, l’ironie et l’iconoclasme sont les marques de l’époque et cela se manifeste aussi dans la tiède pratique spirituelle du paganisme contemporain. Pour les païens contemporains, leur « foi » New Age est simplement une tentative de se révolter contre les « restrictions » du christianisme sans contester une seule de ses suppositions morales plus profondes. Les Wiccans féministes, les « païens » universalistes, et les Vikings de foire encombrent le paysage américain, et ces soi-disant rebelles se conforment encore plus fermement au Zeitgeist [= esprit du temps] égalitaire que les évangéliques les plus engagés. Il faudrait demander aux universalistes [6] et aux pratiquants de la « Wiccatru » : pourquoi ne pas simplement devenir des Unitariens ?

Les païens « reconstructionnistes » présentent leurs propres contestations, étudiant des textes païens incomplets probablement sauvés par des auteurs chrétiens et discutant comme des clercs byzantins de ce que sont les interprétations et les pratiques « correctes ». Comme pour les figurants des reconstitutions de la Guerre Civile [= de Sécession] insistant sur l’utilisation de boutons historiquement exacts, il s’agit simplement d’une fuite dans la fantaisie, intéressante et distrayante mais sans importance réelle. Apprendre sur le passé est toujours un effort honorable, mais la tentative de s’échapper dans une ère passée est un aveu d’impuissance. Revêtir des vêtements médiévaux ou affecter un discours archaïque est moins un rejet de la modernité qu’un abandon à celle-ci. Le luxe de l’évasion hors de la réalité est un produit de l’opulence et du loisir, pas un effort cohérent de Révolte contre le monde moderne [7].

Si être païen signifie défendre quelque chose, le paganisme doit offrir une expérience spirituelle et un cadre culturel authentiques qui aient un sens dans le monde moderne. De même qu’une Eglise chrétienne peut offrir quelque chose à l’humble paroissien tout comme au théologien sophistiqué, Asatrù doit forger des liens de communauté spirituelle sans considération de l’intellectualisme d’une personne et de son niveau choisi d’implication. Plus important, pour éviter les embarrassantes débâcles des apologistes chrétiens défendant [8] des choses comme le créationnisme de la jeune terre, la « théologie » païenne, faute d’un meilleur mot, doit être ouverte aux compréhensions correctes de la science et à la nature de l’existence.

Comme Collin Cleary le suggère, cela commence en supposant simplement que les dieux existent et que nous avons dans un certain sens perdu notre « ouverture » à eux. Cependant, dans un sens plus profond, être païen dans le monde moderne c’est vivre la mythologie. Pour le païen authentique, chaque interaction sociale, relation sexuelle, repas, création, combat ou accomplissement est chargé de sens, et ouvert au rituel et à la magie. Au lieu de simplement supposer que les dieux existent ou qu’il existe une sphère divine, le pratiquant païen et magique doit se considérer comme un personnage de sa propre saga, capable de se brancher sur le pouvoir des dieux par l’étude et la discipline combinées à l’expérience extatique.

Une telle révolution de la pensée n’est pas facile et doit donc commencer par quelque chose que même les chrétiens considèrent comme détaché du monde : le rituel. Dans la tradition de la Haute Eglise des catholiques traditionalistes ou des Orthodoxes, la Messe est une tentative d’amener le ciel sur la terre, de transporter littéralement la conscience de l’individu dans un autre monde. Dans le paganisme germanique, nous cherchons très littéralement à faire venir les dieux vers nous, comme présents durant un rituel ou comme une sorte de possession à l’intérieur de nous. Cela requiert une séparation physique et mentale vis-à-vis du monde de tous les jours, accomplie par l’archétypique pratique païenne de la « sacralisation ».

Bien que les spécificités diffèrent selon les groupes, le godi délimitera un espace séparé du reste du monde par le pouvoir de Mjölnir [9] (le marteau de Thor), de Gungnir [10] (la lance d’Odin), ou quelque autre instrument. Cela représente une rupture psychologique avec le mondain, puisqu’à l’intérieur du [11] (ou enclos sacré), on considère que la réalité elle-même a changé. Comme l’a dit un pratiquant, « En-dehors du , je suis un athée, à l’intérieur du je suis un fanatique religieux ». Par des changements dans l’apparence physique, les chants rituels, la musique, et d’autres pratiques, la conscience elle-même est changée, puisque le sacré est séparé du mondain. On pourrait soutenir que la démarcation entre le sacré et le profane est à la racine de toute identité culturelle, et que c’est la définition même de ce qui sépare un peuple d’un autre.

Certains pourraient ricaner et dire que cela est simplement une sorte de spectacle sans intérêt pour « inciter » le cerveau à voir ce qui n’existe pas. Si cela est vrai, alors c’est aussi le cas pour la Hagia Sophia (une tentative terrestre pour imiter le ciel), ou l’usage de l’encens pendant la messe, ou même les chœurs et les chants dans n’importe quel service religieux. Cependant, dans un sens plus profond, le rituel est la plus « basse » tentative pour transformer la conscience et l’élever au-dessus du mondain. Comme le monde moderne a supprimé le sacré (en fait, il est caractérisé par la suppression du sacré), les pratiquants débutants doivent utiliser des méthodes extrêmes pour « choquer » leur conscience et la pousser à s’ouvrir au divin.

Cela ne signifie pas que se vêtir d’une peau de loup et courir aux alentours en hurlant suffise pour rencontrer un jour le Père de Tout dans les bois. Cependant, s’ils sont accomplis de manière appropriée, le rituel et la magie permettent l’ouverture nécessaire à l’expérience spirituelle qui inaugure un processus de transformation. L’important n’est pas simplement d’accomplir un rituel une fois de temps en temps et de profiter de la compagnie de ceux qui ont les mêmes idées, bien que cela soit une chose saine en soi. L’important est de comprendre que les dieux, la tradition, les runes et le processus de transformation spirituelle peuvent être appliqués à soi-même et à sa communauté par une sorte de programmation psychologique.

En temps normal, on ne doit pas prendre position sur la question de savoir si les dieux sont littéralement réels ou s’ils sont simplement des archétypes culturels. Au lieu de cela, que les dieux soient réels ou non, le rituel commence un processus de transformation mentale qui fonctionne sur une base continue. Cela est le mieux décrit par Aleister Crowley [12] avec sa vision de la magie – « les méthodes de la science, le but de la religion ».

Dans le Hávamál (les paroles du Très Haut), on nous dit comment Odin a obtenu le secret des runes.

Je sais que je pendis
A l’arbre battu des vents
Neuf nuits pleines,
Navré d’une lance
Et donné à Odin,
Moi-même à moi-même donné,
A cet arbre
Dont nul ne sait
D’où proviennent les racines.

Point de pain ne me remirent
Ni de corne ;
Je regardai en dessous,
Je ramassai les runes,
Hurlant, je les ramassai,
De là, retombai.

Le Père de Tout se saisit des runes dans un moment d’extase, mais avant ce moment il y a une longue période de privation, de souffrance, et de discipline. Les neufs jours de suspension à Yggdrasil suggèrent l’entrée dans une autre forme de conscience, un état de conscience supérieur similaire à celui décrit par les saints chrétiens qui pratiquaient le jeûne ou l’abstinence sexuelle. L’acquisition de la sagesse suprême vient du sacrifice de « soi-même à soi-même », réglée par le rituel, préparée par l’étude consciente, permise par l’expérience extatique.

Un musicien talentueux ou un général doué peut bénéficier d’une inspiration fulgurante à un moment critique, mais ce genre d’inspiration « odinique » divine n’arrive jamais par hasard. C’est le produit d’une vie d’étude consciente, unie aux forces inconscientes de l’esprit humain qui semblent au-delà d’un contrôle délibéré. N’importe qui peut entendre la « Muse » – mais pour que l’inspiration vaille la peine d’être reçue, le terrain doit d’abord être préparé. L’excellence, dit Aristote (un autre grand païen), est une habitude. Nous sommes ce que nous faisons de manière régulière. Dans les sociétés païennes, le rituel est une manière d’élever la conduite mondaine à un plus haut niveau de sens et de réguler nos impulsions plus basses pour faire place à une sensibilité plus élevée. Dans le Japon féodal, par exemple, les samouraïs [13] recherchaient à la fois le combat et l’expression artistique (par des moyens comme la « cérémonie du thé [14] ») en visant à la perfection dans tout ce qu’ils faisaient. Pour le païen, le rituel occasionnel  devrait être le début d’un processus de transformation qui inspire finalement chaque action qu’il accomplit.

Nietzsche appelait l’Übermensch à vivre sa vie entière comme une œuvre d’art. Pour le païen, la maîtrise totale signifierait transformer sa vie entière en un rituel, un Grand Œuvre qui transformerait à la fois sa propre nature et le monde autour de lui par une sorte d’alchimie spirituelle. Dans la compréhension traditionaliste de l’histoire, il y avait un Age d’Or quand les hommes étaient unis aux dieux et quand leur pureté de sang, d’esprit et d’âme leur permettait d’accomplir des miracles et d’atteindre des profondeurs de compréhension refusées aux hommes du Kali Yuga. Le rituel, la pratique correcte, la discipline et la frénésie odinique permettent aux païens de mettre en œuvre le processus de transformation pour atteindre à nouveau cet Age d’Or. Comme il est dit dans le Hávamál :

Sais-tu comment il faut tailler ?
Sais-tu comment il faut interpréter ?
Sais-tu comment il faut teindre ?
Sais-tu comment il faut éprouver ?
Sais-tu comment il faut demander ?
Sais-tu comment il faut sacrifier ?
Sais-tu comment il faut offrir ?
Sais-tu comment il faut immoler ?

L’homme moderne est en guerre avec la nature, en guerre avec ses semblables, en guerre avec lui-même. Le païen cherche à accorder son esprit avec celui des cycles de la nature, à découvrir le frith [15] avec les gens de son peuple par la communauté organique, et se maîtriser afin de ne plus être esclave de ses plus basses impulsions. Alors que le christianisme réprime la Volonté, le paganisme s’en glorifie, à condition qu’elle soit contrôlée et comprise. Etre païen, ce n’est pas simplement être « ouvert » aux dieux, mais aussi rechercher le dieu à l’intérieur de soi. Dès que cela est bien compris, le païen écrit avec son sang sa propre Saga du Vinland chaque jour, et même les activités les plus banales deviennent une sorte de pratique élévatrice.

Cela requiert une expérience réelle – une pratique réelle et authentique, soit par un apprentissage solitaire, soit, de préférence, dans une communauté ou une tribu. Rebâtir une culture organique signifie créer une expérience partagée en tant que communauté. Le paganisme ne peut pas se limiter aux livres – ou pire, à l’internet. Il doit être vécu par le sang et la sueur, la frénésie de l’inspiration, la peine de l’activité physique partagée, la camaraderie et la communauté de pratique partagée.

Bien que nos sources pour « reconstruire la manière dont nos ancêtres le faisaient » soient limitées, cela est relativement sans importance. Ce qui important, c’est de prendre ce que nous savons et de nous lancer dans une quête sincère pour comprendre les anciens mystères, et en faisant cela, de restaurer notre lien avec la Tradition Primordiale. La métapolitique, la métaphysique, et les principes moraux d’Asatrù doivent être expliqués et défendus par tous les moyens possibles, mais en fin de compte, des dizaines de milliers de mots n’atteignent pas la puissance d’une seule expérience « odinique » authentique.

Le rituel authentique nous permet aussi de construire une communauté réelle à un niveau qui n’a pas besoin d’être rationnellement expliqué. Les gens rejoignent des groupes pour une de ces trois raisons : idéologique, matérielle et sociale. La faiblesse de groupes abstraits, purement « idéologiques », enclins aux querelles internes et à la division est évidente en soi. En termes matérielles, une communauté [« kindred »] ou une « tribu » réelle peut développer la capacité à soutenir ses propres membres par le travail, l’aide financière, et les relations de travail, en particulier parmi les Blancs de la classe ouvrière qui sont rejetés par la société. Mais le plus important, c’est que le rituel communautaire, le symbolisme communautaire et les rassemblements communautaires « créent » un peuple, et lui donnent sa propre définition du « bien » et du « mal », comme cela est décrit dans Ainsi parlait Zarathoustra. Ce ne sont pas les Blancs tels qu’ils sont que nous défendons, mais les Blancs tels qu’ils pourraient devenir, et ce processus de transformation et de création de peuple doit commencer par l’établissement du sacré.

Le christianisme nous demande de croire rationnellement l’incroyable. Les païens ne devraient pas rivaliser dans l’apologétique, ni chercher refuge dans l’abstraction. Il leur appartient d’écrire leur propre saga en vivant leur mythologie dans le monde moderne. La question n’est pas de « croire » en Odin, mais de suivre son chemin, et en faisant cela, de ne faire qu’un avec les dieux. En fin de compte, Asatrù n’est pas une chose en laquelle vous croyez. C’est une chose que vous vivez. Ce n’est pas simplement une tradition « pour » un peuple. C’est une pratique qui peut en créer un.