Les Pionniers et les hommes de la Frontière de l’Europe préhistorique

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Avebury Henge, Wiltshire, au sud-ouest  de l’Angleterre

2,648 words

English original here [2]

Quand je lis des études sur la préhistoire européenne, j’ai souvent une impression de déjà-vu – sans cesse des souvenirs de la conquête blanche de l’Amérique du Nord sont réveillés. 

L’Europe continentale [3] occupe à peu près dix millions de kilomètres carrés) — à peu près la taille des Etats-Unis. La retraite des glaciers après la dernière Ere Glaciaire (10.000 av. J.C.) fit monter le niveau des océans et les anciennes lignes côtières furent inondées en permanence sur des kilomètres à l’intérieur des terres, l’ancienne toundra se retira vers le nord, et l’Europe se couvrit de forêts.

De 10.000 av. J.C. environ à 5.000 av. J.C., l’Europe du Nord fut dominée par les chasseurs-cueilleurs (fourrageurs) mésolithiques (post-ère glaciaire, préagricole). Le Mésolithique  (Moyen Age de Pierre) se trouvait entre le Paléolithique (Ancien Age de Pierre) et le Néolithique (Nouvel Age de Pierre).

Vers 5.500-5.000 av. J.C., les premiers fermiers néolithiques se répandirent dans l’Europe centrale. Il semble probable que ces « pionniers » et « hommes de la frontière » (car c’est ce qu’ils ont dû être essentiellement) présentaient des traits de caractère et des styles de vie similaires à de nombreux égards aux pionniers et aux hommes de la frontière des débuts de l’Amérique du Nord.

Ces premiers fermiers ne peuvent cependant pas être automatiquement identifiés aux envahisseurs indo-européens.

Curieusement, les préhistoriens omettent toujours le cadre indo-européen dans leurs publications. En lisant des exposés académiques standards, il est difficile de comprendre comment le récit indo-européen [4] s’insère dans la préhistoire européenne, chronologiquement, racialement, démographiquement, ou linguistiquement.

Par exemple, d’après la Microsoft Encarta Encyclopedia, le Proto-indo-européen (PIE) était encore une langue unifiée vers 3.000 av. J.C., mais vers 2.000 av. J.C. le grec, le hittite, et le sanskrit étaient devenus distincts (le PIE reconstruit montre que ses locuteurs étaient des agriculteurs — et non pas des chasseurs-cueilleurs).

Le problème avec une datation aussi récente pour le PIE, c’est que vers 3.000 av. J.C. les fermiers néolithiques s’étaient répandus dans toute l’Europe depuis au moins deux ou trois mille ans, sinon plus. D’après le démographe historien Colin McEvedy, cité ci-dessous, la date de 3.000 av. J.C. marque en fait la fin de la colonisation de l’Europe par les agriculteurs – l’époque même où les locuteurs du PIE étaient supposés être encore unis dans leur territoire ancestral, ou pas très loin de celui-ci, dans les steppes au nord de la Mer Noire.

Les traits typique de la « Frontière » au début du néolithique en Europe incluent une lutte  probable pour la domination entre les chasseurs-cueilleurs indigènes et les fermiers envahisseurs, des densités de population fortement inégales, la déforestation, l’expansion de l’agriculture, et une profonde transformation culturelle accompagnant la transition entre un style de vie de chasseurs-cueilleurs à un style de vie agricole.

La Frontière néolithique

Vers 5.000 av. J.C., ce qui est maintenant l’Allemagne et les Pays-Bas furent colonisés par les premiers fermiers néolithiques appartenant à la Culture de la Poterie Linéaire [5] (en abrégé LBK, Linearbandkeramik) — les premiers fermiers à coloniser l’Europe centrale et du nord-ouest.

 

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Le début du néolithique en Europe. Les couleurs indiquent les échelles de temps pour la diffusion de l’agriculture. Le « Earliest LBK » (culture de la poterie linéaire) et le « Later LBK/AVK » (culture de la poterie linéaire de LBK/Alföld) représentent les premiers fermiers en Europe centrale.

La culture LBK a pu être répandue par des pionniers immigrant le long des fleuves, pratiquant la culture sur brûlis. Leur style de vie était caractérisé par l’agriculture, l’élevage de troupeaux, les haches de pierre polie, les longues maisons en bois, et la poterie. On pense que les pays dans lesquels ils entrèrent étaient inhabités ou trop peu peuplés par les chasseurs-cueilleurs pour que ces derniers puissent entraver l’avancée des nouveaux arrivants sur le long terme.

Quant à leurs homologues préhistoriques aventureux et aux anciens navigateurs, ou leurs successeurs nord-américains, l’arrivée des colons (ou commerçants) était probablement annoncée par une pénétration initiale dans un pays sauvage sans chemins, avec des vallées, des rivières, des plaines, des montagnes et d’épaisses forêts, par des hommes intrépides en quête d’aventure et d’inconnu : explorateurs, chasseurs, trappeurs (peut-on croire qu’ils ne pratiquaient pas cette activité ?), et éclaireurs interagissant avec des bandes et des tribus de fourrageurs indigènes jouant le rôle d’hôtes, de diplomates non-officiels, de commerçants, et d’ennemis, tuant parfois ou étant tués.

Après la colonisation d’une région, une nouvelle population agricole restait sédentaire tant que la capacité du pays le permettait, puis la population excédentaire se déplaçait vers des régions moins habitées.

Les nouveaux arrivants non seulement cultivaient des céréales et élevaient du bétail, mais comme leurs successeurs américains ils complétaient leur régime en chassant et en pêchant le gibier d’eau, le poisson, les tortues, des petits mammifères, des chevreuils, et d’autres ressources naturelles, comme cela apparaît dans les fouilles archéologiques des fosses à détritus.

Comme on pouvait s’y attendre, les sites des chasseurs-cueilleurs mésolithiques ne comportaient pas les fosses grandes et profondes d’où l’argile était extraite par les colons pour la construction et d’autres usages. Il y avait au contraire des petites fosses, des traces de trous, et des amas dispersés et de faible densité d’ordures contenant de nombreux éclats de poterie brisée, à la différence des dépôts d’ordure denses et concentrés de style néolithique. Graduellement, le mode de vie mésolithique fut marginalisé et disparut.

Dans le nord-est de la Belgique, des villages de frontière fortifiés marquaient les débuts de la culture néolithique. Les villages LBK individuels étaient unis contre les fourrageurs des alentours. Les vestiges archéologiques montrent que l’un de ces villages néolithiques fut fortifié après avoir été brûlé.

Les colons reçurent manifestement une réception hostile de la part des populations indigènes clairsemées de chasseurs-cueilleurs mésolithiques sur la frontière.

Dans War Before Civilization [7] (1996), l’archéologue américain Lawrence Keeley note que les préhistoriens tendent à supposer que tous les objets étrangers découverts dans des sites archéologiques sont arrivés là par le commerce :

« Quand des objets exotiques sont découverts sur un site, ils sont presque invariablement interprétés comme étant la preuve d’échanges préhistoriques. Que de tels objets pourraient être des prises de guerre vient rarement à l’esprit des préhistoriens, qui commencent immédiatement à rechercher des ‘routes commerciales’ et tentent de reconstruire les mécanismes des échanges. (…) Les archéologues devraient au moins envisager la possibilité que ces objets proviennent de pillages. » (p. 126)

L’auteur reconnaît le problème des preuves : « Etant donné l’aversion de l’archéologie moderne envers l’idée de migration et de colonisation (sans parler de conquête), le problème pour documenter de tels processus en préhistoire est difficile ». C’est parce que la défaite ou la migration forcée est typiquement manifestée dans les archives archéologiques seulement par l’existence pacifique de vainqueurs sur des territoires anciennement occupés par les perdants.

Keeley cite l’exemple de la défaite des Boïens [Boii] celtiques en Bohème contre les Marcomans germaniques, archivée par les historiens romains : « Archéologiquement, cet événement [connu] est prouvé seulement par l’expansion des sites de colonisation germaniques et des cimetières dans des régions auparavant habitées par des Celtes » (p. 111). En l’absence d’archives écrites romaines, cette conquête serait demeurée archéologiquement « invisible ».

Déforestation

Les forêts mélangées et à larges feuilles dominaient jadis toute l’Europe centrale, incluant les Iles Britanniques et une partie des plaines russes. Mais, comme pour la Frontière US, elles furent abattues pour créer des terrains de culture, obtenir du matériel de construction pour les maisons et autres structures, et pour utiliser comme chauffage et combustible. Seule une petite partie de cette région possède encore un manteau forestier.

Michael Williams, un géographe anglais, a défini les grandes lignes du processus de  déforestation dans l’Europe néolithique. (“Dark Ages and Dark Areas: Global Deforestation in the Deep Past,” [8] Journal of Historical Geography, 26 [2000]: 28–46)

L’ancien paradigme, dit-il, voyait les cultures mésolithiques de chasseurs-cueilleurs indigènes, d’environ 8.000 à 5.000 av. J.C. « comme le vestige primitif du Paléolithique ». Les populations mésolithiques furent submergées par des vagues successives de proto-agriculteurs néolithiques se répandant dans toute l’Europe centrale depuis le Proche-Orient, dans une grande vague colonisatrice. Les colonisateurs néolithiques étaient des fermiers « primitifs » pratiquant des méthodes de culture sur brûlis.

En accord avec cette vision, Williams cite l’archéologue anglais Grahame Clark qui affirme dans Prehistoric Europe (1952) que les premiers fermiers ne débutèrent pas

« le dégagement systématique et permanent et la formation de champs clôturés. Leur approche était hésitante et leur agriculture extensive. Des morceaux de forêt étaient dégagés, semés, récoltés, et après une saison ou deux rendus à la nature, pendant que les fermiers s’attaquaient à un autre morceau. »

Mais Williams, se fiant à des recherches plus récentes, maintient que la vérité « est beaucoup plus complexe, et a de profondes implications pour notre compréhension du dégagement de la forêt ». De grandes sections de forêt étaient dégagées avec des haches de silex et de pierre, qui étaient capables de couper des arbres, comme des expériences modernes l’ont démontré. Le brûlis et le pâturage animal réduisaient et finalement éliminaient le reste des terres boisées.

La colonisation et l’agriculture néolithiques étaient aussi plus stables et permanentes qu’on le pensait auparavant :

« La signification des longues maisons en bois découvertes dans toute l’Europe est encore ignorée mais des fouilles archéologiques durant les années 1970 ont montré que certaines d’entre elles ont été occupées pendant de nombreux siècles, ce qui rend l’hypothèse habituelle de la culture sur brûlis improbable. (…) Les arbres étaient abattus par des haches de silex et de pierre polie et les plaines inondables étaient utilisées comme cultures jardinières intensives et comme prairies. Les sites néolithiques auraient été entièrement reconnaissables aux yeux d’un fermier européen moderne. »

Williams cite un modèle de simulation tiré de Gregg, Foragers and Farmers: Population Interaction and Agricultural Expansion in Prehistoric Europe (1988), imaginant le type de stratégies agricoles et nutritionnelles nécessaires pour maintenir une maisonnée hypothétique de six personnes, dans un village de 30 personnes en Europe centrale. Il aurait fallu un peu plus de 6 km² de terrain boisé pour survivre – « une étendue stupéfiante de 20 hectares par personne ».

Continuité ou remplacement ?

L’ascendance des Européens blancs contemporains est débattue par les généticiens, les archéologues, et les anthropologues. Une question cruciale est de savoir dans quelle mesure les Européens descendent des premiers fermiers européens de l’Age Néolithique il y a 7.500 ans, ou des chasseurs-cueilleurs paléolithiques qui étaient présents en Europe depuis 40.000 ans. En d’autres mots, les premiers fermiers étaient-ils des nouveaux-venus arrivant de loin, ou des chasseurs-cueilleurs indigènes qui passèrent à l’agriculture ?

Intuitivement, il semblerait que les nouveaux-venus démographiquement dynamiques devaient avoir des taux de fécondité significativement plus élevés que les chasseurs-cueilleurs mésolithiques, et qu’ils contribuèrent donc plus au pool génétique européen moderne que les populations fourrageuses.

Pour fournir une indication approximative des densités de populations mésolithiques (chasseurs-cueilleurs) et néolithiques (premiers fermiers) respectives, je cite les estimations historiques de Colin McEvedy’s and Richard Jones pour l’Europe dans son ensemble :

« Les premiers Européens, les chasseurs de l’Ancien Age de Pierre, ne furent jamais plus de 100.000 à leur meilleure époque ; au pire – spécialement durant les phases froides de la  dernière Ere Glaciaire – ils étaient considérablement moins nombreux. La fin de l’Ere Glaciaire offrit une chance d’échapper à ce modèle déclinant : durant le climat plus facile de la période mésolithique suivante (du 10e au 8e millénaire av. J.C.), leur nombre dépassa leur record précédent, s’élevant finalement jusqu’au quart de million [250.000 personnes]. Puis vint le grand bond en avant, la révolution néolithique du 5e millénaire. Cela porta le total à plus d’un million. Cela créa aussi la première distinction importante entre les styles de colonisation, car, alors que les collecteurs de nourriture de l’Ancien Age de Pierre avaient rarement atteint des densités aussi hautes que 0,1 par km², les producteurs de nourriture du Nouvel Age de Pierre vivaient ordinairement avec des densités de 1 par km². A l’époque où ces agriculteurs avaient terminé leur colonisation de l’Europe du sud et de l’ouest – disons vers 3.000 av. J.C. –, la population du continent était supérieure à deux millions. » (Atlas of World Population History, Penguin, 1978, p. 19)

Ici on peut immédiatement voir un parallèle avec l’Amérique du Nord : en termes de densité de population et de mode d’existence, les fermiers néolithiques de l’Europe ressemblaient beaucoup aux pionniers blancs en Amérique, et les anciens chasseurs-cueilleurs mésolithiques aux Indiens – bien qu’avec des différences humaines qui étaient probablement de caractère plus ethnique que racial.

D’après Colin McEvedy, « La densité d’un peuple néolithique étant supérieure à celle d’un peuple mésolithique par un facteur d’au moins dix, la contribution ethnique des aborigènes – même s’ils furent absorbés plutôt qu’exterminés ou expulsés – a dû être insignifiante » (The Penguin Atlas of Ancient History, 1967, 9).

L’archéologue anglais Sir Paul Mellars propose une hypothèse similaire pour le remplacement précédent des Neandertals en Europe par les humains anatomiquement modernes (a.m.h. – ils ne sont plus appelés Cro-Magnons) :

« [Un] simple déséquilibre en rapport naissances/décès entre les deux populations aurait pu facilement conduire à un processus de remplacement effectif d’une population par l’autre, dans un espace de temps relativement court – peut-être pas plus d’un millier d’années ou à peu près. Si nous envisageons des populations de Neandertals qui étaient assez faiblement réparties dans la plupart des régions de l’Europe, en unités sociales relativement petites, hautement mobiles, on pourrait facilement visualiser un scénario de remplacement de population final sans aucun besoin de génocide de masse, ou même de conflit direct entre les deux populations. » (“The Upper Paleolithic Revolution” in Barry Cunliffe, ed., The Oxford Illustrated Prehistory of Europe, Oxford University Press, 1994, pp. 42–78 at 57)

Il est facile d’imaginer une dynamique comparable à l’œuvre à l’époque de la transition   Mésolithique-Néolithique. En fait, c’est le même processus qui est en train de décimer la  population blanche aujourd’hui [9].

Si la notion de « génocide de masse » est une diversion (dans le contexte Neandertal elle est défendue par l’auteur populaire juif et anti-européen Jared Diamond), le trope familier de l’inexistence d’un conflit direct a été réfuté d’une manière convaincante par l’archéologue Lawrence Keeley.

Une étude de 2009 comparant des séquences d’ADN mitochondriale (une forme utile mais limitée d’analyse génétique) de squelettes de chasseurs-cueilleurs européens tardifs avec ceux des premiers fermiers et d’Européens modernes montra que

« La plupart (82%) des anciens chasseurs-cueilleurs partageaient des types de ADN-mt qui sont relativement rares chez les Européens centraux aujourd’hui. Ces analyses réunies fournissent des preuves convaincantes que les premiers fermiers n’étaient pas les descendants de chasseurs-cueilleurs locaux mais immigrèrent en Europe Centrale au début du Néolithique. » (Bramanti, et. al, “Genetic Discontinuity Between Local Hunter-Gatherers and Central Europe’s First Farmers,” [10] Science [October 2, 2009]: 137–140)

Les auteurs ajoutent : « Nous trouvons de grandes différences génétiques entre les trois groupes qui ne peuvent pas être expliqués par la seule continuité de population ».

Contre cette vision, d’autres auteurs affirment que les chasseurs-cueilleurs ont pu adopter des techniques agricoles et, en passant à l’agriculture primitive, ont pu augmenter le pool génétique indigène, préservant ainsi la continuité paléolithique :

« Au niveau le plus général, il est possible d’affirmer qu’il y a eu un changement d’opinion majeur sur l’ascendance des Européens, guidé en grande partie par les forces combinées de l’archéologie et de la génétique. Les fermiers du Proche-Orient jouèrent leur rôle, mais la majorité des lignages génétiques européens [ADN-mt et chromosome Y] a ses racines dans le Paléolithique européen. » (Martin Richards, “The Neolithic Invasion of Europe,” [11] Annual Review of Anthropology, October 2003 32:135–162 at 157)

Pour le moment, les preuves d’un remplacement de population ou d’une continuité paléolithique demeurent équivoques. Cependant, les études publiées suggèrent des orientations par lesquelles la diffusion de l’agriculture en Europe suivant une frontière mouvante durant la transition démographique néolithique ressemblait à la colonisation blanche de l’Amérique du Nord des millénaires plus tard (les années 1500 et 1800).

Il est très possible que les hommes et femmes entreprenants du début du Néolithique étaient plus similaires à nos propres hommes de la frontière et à nos pionniers qu’on ne l’admet généralement.