Ennemi et exemplaire:
Paul de Tarse vu par Savitri Devi

[1]1,610 words

Traduit par Arjuna

English original here [2]

Dans son pamphlet Paul de Tarse, ou christianisme et juiverie [3], Savitri Devi affirme que le christianisme n’est pas la création de Jésus Christ, mais de Saint Paul.1 Savitri envisage même la possibilité que Jésus n’ait jamais existé. Et même s’il a existé, affirme-t-elle, les enseignements qui lui sont attribués dans les Evangiles sont ceux d’un visionnaire sans esprit pratique, pas du fondateur d’une religion organisée. En fait, le vrai fondateur du christianisme est Saint Paul, connu à l’origine sous le nom de Paul de Tarse.

Paul était à la fois un Juif profondément orthodoxe et un homme d’éducation et d’expérience cosmopolites. En accord avec son orthodoxie, Paul commença par persécuter les adeptes de Jésus. Ensuite vint sa conversion sur la route de Damas. Savitri affirme que cette conversion ne fut pas un éclair de vision mystique, mais un coup de génie politique. La compréhension du monde des non-Juifs par Paul était bien meilleure que celle de ses supérieurs à Jérusalem. A la lumière de cette compréhension, il réalisa que le christianisme pouvait devenir un instrument idéal pour établir la domination spirituelle et économique des Juifs sur le reste du monde.

Le christianisme contribue à la domination juive d’au moins deux manières. D’abord, le christianisme donne un rôle providentiel spécial aux Juifs dans la religion des non-Juifs. Ensuite, le christianisme prêche l’égalité de toutes les races et de tous les hommes. Cela conduit au mélange des races et au déclin de la conscience nationale parmi les non-Juifs. Mais tant que les Juifs conservent leur conscience et leur solidarité raciales, ils gagnent un avantage toujours plus grand à mesure que celles-ci déclinent chez les autres peuples.

Le jugement de Paul par Savitri est fortement influencé par celui de Nietzsche dans l’Antéchrist.2 Comme Savitri, Nietzsche décrit Jésus comme un idéaliste dénué de  sens pratique, pas comme le fondateur d’une religion. Jésus était un « esprit libre », entièrement détaché du monde matériel et des formules intellectuelles figées. Son enseignement était sa vie. Il offrait « un nouveau mode de vie, pas une nouvelle croyance ».3 La rédemption est un mode de vie par lequel on se sent au Ciel même si l’on se trouve au milieu de l’Enfer : « Le ‘Royaume des Cieux’ est un état du cœur, pas une chose qui arrive ‘sur la terre’ ou ‘après la mort’. »4

Comme Savitri, Nietzsche considère Paul comme le vrai fondateur du christianisme. Nietzsche décrit les Juifs comme « un peuple de l’énergie vitale la plus tenace qui, placé dans des circonstances impossibles, volontairement, à partir de la compréhension la plus profonde de l’autoconservation, prit le parti de tous les instincts de décadence — non pas en étant asservis à eux mais parce qu’il devinait en eux une puissance qui  permet de s’affirmer contre ‘le monde’.5 Nietzsche compte « le christianisme de Paul » parmi ces mouvements de décadence.6

A la différence de Savitri, cependant, Nietzsche ne pense pas que le motif unique ou principal de Paul soit l’amour des Juifs, mais plutôt la haine morbide de la santé physique et spirituelle incarnée par la culture de la Grèce et par l’empire de Rome : « Paul fut le plus grand de tous les apôtres de la vengeance »7 – la vengeance des infirmes et des inférieurs contre les types supérieurs d’humanité, contre l’aristocratie naturelle. Paul était :

« la haine Tchandala contre Rome, contre ‘le monde’, faite chair et génie, le Juif, le Juif éternel par excellence. . . . Ce qu’il devina, ce fut qu’avec l’aide d’une petite  secte en marge du judaïsme on pouvait déclencher une ‘conflagration mondiale’, qu’avec le symbole ‘Dieu sur la Croix’ on pouvait rassembler tous les bas-fonds, tout ce qui est en révolte secrète, tout l’héritage de l’agitation anarchiste dans l’Empire, en une puissance formidable. »8

Les armes principales de Paul étaient les concepts de l’égalité et de l’immortalité de l’âme : « La vision aristocratique a été minée le plus profondément par le mensonge de l’égalité des âmes ».9 Et : « Pour pouvoir rejeter tout ce qui représente le mouvement ascendant de la vie, de la bonne constitution, de la puissance, de la beauté, de l’affirmation de soi sur terre, l’instinct de ressentiment devenu ici génie devait inventer un autre monde depuis lequel cette affirmation vitale apparaîtrait comme mauvaise, répréhensible en soi ».10 Et : « Ce fut sa vision sur la route de Damas : il comprit que pour dévaluer ‘le monde’ il avait besoin de la croyance à l’immortalité, que l’idée d’enfer maîtriserait même Rome – qu’avec ‘l’Au-delà’ on tue la vie ».11

Les motifs de Savitri en écrivant et en publiant Paul de Tarse sont quelque peu énigmatiques. Ecrit en un seul jour et comptant seulement un peu plus de 3.000 mots, il fut publié par elle en 1958 comme un pamphlet de huit pages, parallèlement à son magnum opus, The Lightning and the Sun (432 pages) et à son récit de voyage dévotionnel Pilgrimage (354 pages). Egalement remarquable est le fait que Paul de Tarse fut écrit en français. Bien que la mère de Savitri était anglaise, et que Savitri apprit l’anglais dans son landau et écrivit la plupart de ses livres en anglais, le français fut la langue de ses études. Ses trois premiers livres furent écrits en français, et dans sa vieillesse elle revint à la langue française pour trois autres livres. Tous les livres et essais qu’elle publia entre-temps furent en anglais. Sauf Paul de Tarse.12

De plus, Savitri maintint son intérêt pour Paul pendant de nombreuses années. Dans une interview enregistrée en novembre 1978 et à nouveau dans une lettre datée du 7 juin 1979, elle recommanda chaleureusement trois livres de l’historien français Robert Ambelain : Jésus, ou le mortel secret des Templiers, La vie secrète de Saint Paul, et Les Lourds secrets du Golgotha.13 D’après Savitri, dans ces livres « toute la légende chrétienne est révélée… comme un canular éhonté (le canular du premier siècle – aussi énorme que celui du vingtième) ».14

Savitri raconta que, d’après Ambelain, Jésus était « un agitateur anti-romain et rien d’autre. Pas l’enseignant d’une quelconque religion ».15 Ceci est bien sûr l’opposé exact de l’idée qu’elle exprimait dans Paul de Tarse selon laquelle Jésus était un instructeur religieux purement apolitique. Mais les deux positions sont unies pour rejeter l’idée selon laquelle Jésus aurait été le fondateur d’une religion organisée.

Savitri était impressionnée par l’affirmation d’Ambelain selon laquelle le christianisme fut la création de Paul : « D’après Ambelain, il [Paul] s’empara de la personne de cet agitateur juif et la transforma en une figure mystique, lui ajouta toutes les caractéristiques de ces antiques dieux de la végétation, Mithra, Osiris, Adonis et d’autres… Il fit de lui [Jésus] une figure mondiale… Et en faisant cela, il répandit l’influence de la juiverie dans le monde entier ».16

Pourquoi Savitri Devi était-elle aussi manifestement fascinée par Paul de Tarse ? Je suggérerai que, consciemment ou inconsciemment, elle le considérait comme un modèle. Après la Seconde Guerre Mondiale, Savitri se consola et consola ses camarades en comparant leur situation à celle des adeptes de Jésus après sa crucifixion.17 Les choses semblaient sans espoir, mais alors Paul créa le christianisme, et en trois siècles le christianisme devint suffisamment fort pour conquérir Rome. En réalité, Jésus était soit un idéaliste sans esprit pratique soit un leader politique vaincu, mais pas le fondateur d’une religion organisée. Paul créa le christianisme en dotant Jésus d’un caractère mystique et en le représentant comme le héros du drame cosmique de la Chute, de la Rédemption et du Jugement Dernier de l’homme.

C’est exactement ce que fit Savitri Devi avec un autre leader politique vaincu, Adolf Hitler. Dans The Lightning and the Sun, Savitri dote Hitler d’un caractère mystique et d’une signification cosmique en le situant dans le drame cyclique de la cosmologie hindoue. Hitler était un « homme contre le Temps », un homme qui cherchait à détruire l’Age Obscur, le Kali Yuga, et à inaugurer un nouvel Age d’Or, un Satya Yuga. Savitri identifie Hitler à l’avant-dernier avatar du dieu Vishnou, celui qui prépare la voie au dernier avatar, Kalki, qui mettra fin au Kali Yuga.18 En somme, mon hypothèse est que le but de Savitri, comme celui de Paul, était la création d’une nouvelle religion comme véhicule pour le triomphe de ses idéaux, une religion dans laquelle Hitler serait le Christ et Savitri Devi son Saint Paul.

Notes

1. Savitri Devi, Paul de Tarse, ou Christianisme et Juiverie (Calcutta : Savitri Devi Mukherji, 1958).

2. Friedrich Nietzsche, Le crépuscule des idoles et L’Antéchrist, trad. anglaise R. J. Hollingdale (New York: Penguin, 1990). L’Antéchrist fut écrit à la fin de 1888 et publié pour la première fois en 1895.

3. L’Antéchrist, trad. anglaise, 158. Sur Jésus en tant qu’« esprit libre », voir l’Antéchrist, sections 32-36.

4. L’Antéchrist, 159.

5. L’Antéchrist, 147.

6. L’Antéchrist, 147.

7. L’Antéchrist, 173.

8. L’Antéchrist, 193.

9. L’Antéchrist, 169.

10. L’Antéchrist, 146-7.

11. L’Antéchrist, 194.

12. Les trois premiers livres de Savitri sont La Simplicité Mathématique (Lyon : Maximine Portaz, 1935), Essai critique sur Théophile Kaïris (Lyon : Maximine Portaz, 1935), et L’Etang aux Lotus (Calcutta : Savitri Devi Mukherji, 1940). Ses trois derniers sont Tyrtée l’Athénien (une nouvelle inachevée, écrite vers 1963-1968), Souvenirs et réflexions d’une Aryenne (Calcutta : Savitri Devi Mukherji, 1976, écrit en 1968-1971), et Ironies et Paradoxes dans l’historie et la légende (commencé en 1979 et jamais terminé).

13. Robert Ambelain, Jésus, ou le mortel secret des Templiers (Paris : R. Laffont, 1970), La vie secrète de Saint Paul (Paris : R. Laffont, 1971), et Les Lourds secrets du Golgotha (Paris : R. Laffont, 1974).

14. Savitri Devi à O.L., 7 juin 1979 ; collection de l’auteur.

15. Savitri Devi, And Time Rolls On: The Savitri Devi Interviews, ed. R.G. Fowler (Atlanta: Black Sun Publications, 2005), 108.

16. And Time Rolls On, 109.

17. Savitri Devi, Pilgrimage (Calcutta: Savitri Devi Mukherji, 1958), 76, 123.

18. Bala-Râma [Râma le Fort] est généralement considéré comme l’avant-dernier avatar of Vishnou. Mais certaines franges de la tradition hindoue donnent sa place au Bouddha.

Source: http://savitridevi.org/article-fowler-paul-french.html [4]